Tiré d'un roman de Thomas Gunzig, ce pavé de bande dessinée (plus de 250 pages) prend place dans un futur lointain d'un point de vue technologique (l'ingénierie génétique s'est nettement développée), mais aussi proche pour ce qui est des décors et de la société qu'elle dépeint. Une société cadenassée par la marchandisation, ici illustrée à travers le secteur de la grande distribution. Avec des pratiques qui ne sont pas sans hélas rappeler une certaine réalité...
Et on voit les frères Eichmann (oui, oui, c'est bien Eichmann !), propriétaires de la chaine de supermarchés autour de laquelle est construit le scénario, nous donner - après un éloge appuyé du Copyright - une magistrale leçon de pensée globale : "On a beau tourner la chose dans tous les sens, la seule réponse à l'existence de l'homme sur terre, c'est qu'il est là pour contrôler le système. C'est ce qu'il sait faire de mieux. C'est son plus grand talent.". Dans la même veine, et tout aussi excellente est le cours d'analyse systémique donné par Blanche de Castille Dubois (du service Synergie et Proaction de l'entreprise des frères Eichmann), dont la mise en application s'avérera toutefois pour le moins hasardeuse. Le temps des sauvages, véritablement !
Vision d'un monde donc dont toute humanité a été gommée ou est en passe de l'être. Et la conclusion, sobre et dépouillée, verra l'animalité prendre définitivement le dessus sur l'humanité. Et du coup, impossible donc de ne pas voir dans "Le temps des sauvages" une sorte de pendant pré-apocalyptique de ce qui est pour moi le chef d'œuvre de Pierre Bordage : "Les fables de l'Humpur" -> http://www.senscritique.com/livre/Les_Fables_de_l_Humpur/373604
On trouve dans les deux ouvrages des humains clonés à base de gènes animaux (loup, serpent). Mais si la BD est pré-apocalyptique dans le sens où elle décrit une humanité qui court à sa perte, le roman de Bordage est post-apocalyptique, puisque cette perte est consommée et qu'il ne reste plus sur terre que ces clones, justement. Et paradoxalement, si le message du "Temps des sauvages" est très noir, celui des fables au contraire est résolument humaniste...Deux facettes d'un seul et même joyau ?