David B est un triste fabuliste, un onirologue maladif, un clown désabusé qui raconte devant un feu glacé ses propres contes noirs, ressassant sans cesse les mêmes thèmes : armes blanches biscornues, armures bigarrées, démons et monstres enlacés, ombres et objets vivants avec son trait si particulier au hiératisme aplati et douloureux, sorte de Marjane Satrapi horrifique aux noirs trempés dans de l'atrabile. Chaque trait, épais et gras, semble être le rebord d'un abysse donnant sur un puits sans fond, une frontière sur un tout autre monde onirique, celui des monstres sous le lit, des fantômes enchaînés et des ogres colorés et qui avait déjà nourri l'imaginaire des vieux conteurs antiques.
David B est friand d'Histoire, de mythes et de légendes, il l'a dit dans l'Ascension du Haut Mal et n'a cessé de le prouver dans ses BD ultérieures. Il n'est donc pas étonnant qu'il investisse le monde fertile du Japon, son univers de samouraïs aux armures pimpantes et de mille démons. Mais attention, ici nulles batailles de Sekigahara ou de Musashi Miyamoto ! Déjà, dans sa Lecture des Ruines, il relatait la guerre des tranchées, collusion tragique entre la fin du XIXe siècle grinçant et le début de l'âge moderne. Ici la dynamique est semblable à l'ère Meiji : les samouraïs ont perdu le droit de porter le sabre, la police possède des fusils, les étrangers déferlent sur le pays enfin ouvert et le train à vapeur sillonne les montagnes. L'effritement lente et inexorable du Japon romantique des mangas et des films en costumes et où le merveilleux n'est plus présent que par bribes...
L'auteur conserve son style très froid même s'il reste dans cet album parcimonieux en grandes fresques symbolistes et surréalistes. Il mêle à son inspiration japonisante une ambiance et des motifs tout personnels, plutôt hermétiques, partant dans tous les sens comme les épées que brandissent ses personnages et qui peuvent aisément laisser le lecteur non-averti sur le pas de la porte de ses ténèbres. Il semble en effet manquer un petit quelque chose pour que la magie prenne véritablement vie.