L'Asie, c'est compliqué

J'aime Tramp, une série contemporaine méconnue. Yann Calec est un jeune officier de la marine marchande. Depuis 11 opus, il navigue sur les traces d'un père disparu, méconnu et encombrant. Les six premiers tomes étaient franchement marins, le cycle suivant s'éloigne de la mer, pour nous conduire sur les périlleuses pistes du Tonkin.

J'aime le dessin épuré et précis de Patrick Jusseaume, récemment décédé. Le travail de documentation est remarquable. Navires, camions, avions, tout est juste. Les cadrages sont originaux et variés. Sa jungle est poisseuse, la tension palpable, les vues aériennes belles et les personnages adroitement saisis.

Jean-Charles Kraen prend le temps, et trois albums, pour nous servir un véritable polar colonial : prostituées fatales, secte assassine, trafiquants d'opium, pilote aventurier, légionnaire déserteur, duo de policiers ripoux, administrateurs véreux, notable chinois impassible et cruel et un très (trop) opportun Méo blanc... Il coche toutes les cases. Mieux, il convie à la fête un Lucien Bodard conforme à sa légende, celle de Monsieur le Consul et du Fils du consul. J'apprécie le verbe truculent de Bodard, même si sa vision de l'Asie m'effraie. Tout y est double ou triple jeu. On s'y torture sans haine et s'y trahit sans passion.

Le capitaine Calec est un homme droit, au caractère forgé par un long compagnonnage avec l'océan. La mer est dure, mais ne ment pas. Drossé à terre, il y découvrira la complexité, les compromis et les remords.