Les 3 fruits: malheur à ceux qui mordront dedans

Il serait bien déraisonnable de cantonner le formidable scénariste qu’est Zidrou à ses séries les plus populaires et les plus tous publics: Tamara, Les Crannibales, Le Boss, L’élève Ducobu (sans doute la plus populaire) et on en passe. Non l’homme n’a pas signé que ça et n’a pas fini de nous étonner. La dernière fois que nous vous en avions parlé, c’était pour évoquer le très réussi diptyque La Mondaine, et nous n’avons pas fini puisque l’homme s’apprête à sortir pas moins de trois bande dessinées en 2015 chez Dargaud. Et en ouvrant le premier ouvrage de cette série, ce one shot inattendu intitulé Les 3 fruits et dessiné sous le singulier trait de l’Espagnol Oriol, on s’est dit que c’était plutôt bien parti.

Les 3 fruits, c’est un conte macabre et noir, décalé dans un temps médiéval et fantasy lointain, mais aussi calé dans les plus bas instincts de l’homme, d’hier… ou d’aujourd’hui. Ainsi, se retrouve-t-on plongé dans l’histoire de ce roi qui, non content de garder pouvoir et paix sur son royaume, voulait s’approprier la vie, la contrôler. Vivre à jamais en somme. Non parce qu’il rêvait de jeunesse éternelle, mais parce qu’il craignait trop la mort que pour la subir. Décadent et en pleine folie obsessionnelle, le roi eut tôt fait de trancher la gorge à ses plus proches et fidèles savants, parce qu’ils n’avaient pas la réponse à sa question: « Que dois-je faire pour ne pas mourir?« . Se présenta alors, lorsque le royaume fut dépeuplé de ses hommes de savoir, un mage obscur qui proposa un marché au souverain. En échange du mariage de sa fille, l’homme donna la solution au roi vieillissant. Pour s’assurer la vie éternelle, le roi devra manger la chair du plus valeureux de ses trois fils. Leur faisant miroiter l’accession au trône et à la couronne, le fou envoya donc ses fils aux 3 coins du royaume affronter d’invincibles monstres pour prouver leur robustesse.

Énième variation du pacte avec le Diable? Oui, Les 3 fruits l’est certainement, mais avec l’inventivité et l’originalité qui nous font dire que le contes de nos jours peuvent faire bien plus que répéter ceux du passé. Et que les fables de La Fontaine peuvent sortir de leur jour enfantin pour revêtir leurs atours humains et glaçants. Encore plus lorsqu’elles sont rendues par le style unique du dessinateur Oriol. Encore plus flou, plus étiré, plus fantomatique, plus pictural et plus « ambiancé » que dans sa précédente collaboration avec Zidrou (le surprenant et excellent La peau de l’ours). Et si le lecteur est pris à revers par le genre de cette bande dessinée, il est plongé, immergé complètement dès les premières des 78 pages de cette BD fantastique. Fantastique parce que contemporaine aussi, traitant de l’habituel thème de la peur de la mort, mais également du mariage forcé, de la lâcheté et de la volonté d’assouvir ses désirs les plus cruels à n’importe quel prix. Bref, ce royaume n’est pas si loin de celui que nous contemplons chaque jour, qui est à notre porte… non, bien plus, qui est chez nous, en chacun de nous. Et que Zidrou et Oriol sont redoutables pour conter nos démons! C’est élégant, menaçant, identitaire, ultra-sombre mais d’une grande beauté et diablement emballant. C’est loin d’être kitsch et Monstrueusement conseillé, donc.

18/20
Alexis_Seny
9
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le 25 janv. 2015

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Alexis Seny

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