Il s'agit probablement de l'album de Tintin qui, avec "l'Or noir", aura connu le plus d'aléas de publication. Jugez plutôt: les premiers strips apparaissent dans le journal Le Soir (à un rythme d'escargot, comme de coutume depuis le début de la guerre) en décembre 1943 pour être brutalement interrompus en septembre 1944 au moment de la Libération de Bruxelles. En effet, toute personne évoluant dans le milieu journalistique collaborateur se voit contrainte par les hautes instances alliées de suspendre ses activités professionnelles. Or, si vous avez suivi mes précédentes critiques (ou si vous êtes tintinophile, auquel cas il ne me reste plus qu'à fermer ma gueule), vous savez que Hergé a travaillé durant presque toute la guerre pour un journal contrôlé par les nazis. Notre auteur est donc inquiété à de multiples reprises, tandis que certains de ses vieux amis, dont le fameux abbé Wallez, s'en vont goûter aux joies simples et profondes d'un séjour en prison.

N'en déplaise à ses détracteurs, on ne trouve pas d'éléments incriminant suffisamment le père de Tintin pour l'envoyer croupir en taule plus d'une journée. Si Hergé en est quitte avec la justice, sa réputation souffrira énormément, pendant un certain temps, de ses accointances avec le milieu rexiste. Ayant profité de ses vacances forcées pour remanier une fois encore d'anciens albums, Hergé est à nouveau en droit de publier ses aventures fin 1946. Une rencontre avec le fondateur des éditions du Lombard, Raymond Leblanc, accouchera du mythique "Journal de Tintin", où quelques-uns des plus grands noms de la bande-dessinée franco-belge exerceront leurs talents (Tibet, Graton, Dupa, Uderzo et Goscinny,...). Pour l'heure, cela permet surtout à Hergé d'enfin terminer les 7 boules de Cristal (la coupure intervient dans l'histoire au moment où Tintin se rend à l'hôpital pour constater l'état des explorateurs "maudits").

Cette aventure mixe deux thèmes chers à monsieur Remi: la mystérieuse malédiction et l'enquête policière. L'atmosphère générale est aussi tendue qu'un string de baleine et la momie de Rascar Capac aura traumatisé plus d'un mioche encore ignorant du genre "zombiesque". L'intrigue est maitrisée de bout en bout, même si elle n'est pas aussi étonnante que les souvenirs de ma première lecture m'avaient laissé croire. L'ambiance étouffante va de pair avec des gags moins nombreux mais, à mon sens, mieux amenés car inattendus. Habitué comme je le suis à voir Haddock ou les Dupondt se prendre un mur, une porte, une marche ou une enclume à chaque page (ok, j'avoue: pas l'enclume), j'ai vécu ce nouvel équilibre de l'humour visuel comme une véritable bouffée de fraicheur. Enfin, n'oublions pas qu'en dehors de ses volontés de divertissement, cette aventure est aussi une nouvelle critique de Hergé à l'encontre de l'Occident qui pille sans vergogne le passé de pays considérés comme "arriérés". Il faut sans le moindre doute entendre la voix de l'auteur dans celle de cet inconnu qui, en première page, donne à Tintin une belle leçon de morale à laquelle le jeune reporter ne trouvera d'autre réponse qu'une fuite lâche et puérile (détends-toi Torpenn: c'est juste une plaisanterie).

Tournesol joue dans cette histoire un rôle à la fois majeur et anecdotique qui m'a assez interpellé. Son enlèvement va certes précipiter nos héros dans de bonnes grosses emmerdes comme on les aime, mais son côté décalé à été poussé dans de tels extrêmes qu'il en devient presque fantomatique, contrairement au "Trésor de Rackham le Rouge" où j'avais trouvé son rôle et ses réactions juste parfaits. Haddock, par contre, connait le développement psychologique le plus intéressant de cette BD: devenu millionaire et tentant vainement de se fondre dans la noblesse, l'appel de la mer et de l'aventure le sortiront du marasme dans lequel l'avait plongé la disparition de son ami Tryphon. La dernière partie de l'album est éloquente: Archibald quitte ses ridicules habits de dandy décati (cette phrase ne vaut que pour ses rimes) et renfile ses atours de vieux loup de mer alcoolo, la pipe au bec et ses 52 bouteilles de Whisky dans son sac de voyage. Y'a pas à dire, j'adore ce mec... Enfin, je ne peux m'empêcher de signaler une incohérence flagrante à propos du général Alcazar: comment celui-ci peut accueillir Tintin en ami alors que, lors de leur dernière rencontre dans "L'Oreille cassée", le militaire voulait la mort du petit reporter ?

D'un point de vue graphique, il est a souligner que Jacobs est d'un soutien inestimable pour Hergé: les décors sont enfin nombreux, détaillés, et la vieille technique d'économie d'Hergé qui consistait à foutre plein d'arrière-plans unis a à présent quasiment disparue (cette remarque ne vaut évidemment pas pour l'excellent "Lotus bleu").

Les 7 boules de cristal est donc un shonen... pardon, une BD solidement construite et particulièrement plaisante mais qui a surtout pour principal atout d'avoir une suite qui se trouve être l'un de mes tout meilleurs souvenirs Tintin. Est-ce que ce sera toujours le cas après relecture ? Pour le savoir, ne manquez pas ma prochaine critique (dire que ce genre d'annonce minable marchait très bien dans le temps...) !
Amrit
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le 28 nov. 2011

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