Lorsque l'on me demande de citer mon "Tintin" préféré, c'est la plupart du temps "les 7 Boules de Cristal" qui me vient à l'esprit. Pourquoi ? Pas facile de discerner pourquoi ce 13ème album des aventures du petit reporter (qui ne l'était plus, visiblement) me marqua autant à l'époque : ou plutôt si, il y a une raison évidente, qui s'appelle Rascar Capac, momie cauchemardesque qui déclencha, alors que je devais avoir moins de dix ans, ma future passion pour le fantastique. Pour le reste, une re-lecture récente de cet album oscillant entre thriller dépressif en avance sur son temps (la malédiction à laquelle il est impossible d'échapper, quoi qu'on fasse) et accumulation de gags spectaculaires (tournant pour la plupart autour du statut de nouveau riche du Capitaine Haddock, qui endosse ici les habits mal seyants d'un châtelain un tantinet prétentieux) en montre les limites : si sa construction fait écho à celle du "Secret de la Licorne", avec l'ouverture finale qui arrive comme un grand bol d'air frais vers l'aventure, le grand large, on ressent la "perte d'innocence" de Hergé. Alors que la guerre, toujours totalement hors champ chez Tintin, touche à sa fin, que les dernières batailles font rage entre Nazis et Alliés, puis que survient la Libération de la Belgique, Hergé doit faire face aux conséquences de son choix de travailler au "Soir", journal volé à ses propriétaires et symbole de la collaboration : "les 7 Boules de Cristal" sera interrompu pendant 2 ans, avant que Hergé ne le reprenne une fois lavé des accusations qu'il affrontait, mais on imagine bien que l'ambiance autour de sa création n'était pas des plus favorables. Il faut toutefois souligner que Hergé se sera appuyé pour cet album sur l'imagination littéraire de son ami Van Melkebeke, sans doute responsable du "sérieux" de l'énigme policière très réussie, et sur le talent éblouissant de Jacobs, qui était en train de devenir le génie de la BD qu'on connaît. Mais, en tout cas, on se rend compte aujourd'hui combien l'impact des "7 Boules de Cristal" va être rétrospectivement multiplié par le "Temple du Soleil" qui nous ramènera le Tintin aventurier que l'on préfère. [Critique écrite en 2017]