On connaît la plus célèbre américaine du 19ème siècle pour ses nombreuses adaptations et apparitions cinématographiques ou littéraires. La grande majorité des spectateurs l’imagine le plus souvent, garçonne, habillée en cow-boy, le colt à la main, poivrote imbibée du matin au soir et galopant en solitaire d’un état à l’autre sans se soucier des indiens. Les plus avisés d’entre eux savent aussi que la réalité a beaucoup été romancée – voir déformée – par le cinéma la dépeignant tantôt comme une jolie blonde naïve et enjouée à l’image de Doris Day dans la comédie musicale «La Blonde Du Far West» réalisée par Butler, plus récemment comme une brune disgracieuse, ivre et déprimée interprétée par Robin Weigert dans l’excellente série «Deadwood».


Mathieu Blanchin et Christian Perrissin ont choisi d’incarner le personnage avec un regard intimiste et inspiré pour délivrer non pas une vérité historique mais plutôt leur interprétation de la vérité – ce qui est certainement plus honnête lorsqu’il s’agit de parler de ce personnage. Il est du reste plus probable que le mythe dépasse très largement les faits – elle y a d’ailleurs fortement contribué – mais qu’il fait en même temps partie intégrante de la fabuleuse histoire de Calamity Jane !


Dans ce roman graphique en trois tomes, les auteurs réalisent un travail documenté et nous font suivre le parcours de Jane dans un contexte historique illustré à travers les grands évènements de l’époque et de nombreuses cartes permettant de comprendre la situation géographique et politique des USA dans cette période symbolique de l’essor du rêve libéral américain.


Un rêve américain qui se soldera par de nombreuses déconvenues à l’image de la vie de Jane.


Tout commence dans le froid et la rudesse des plaines boueuses au cœur desquelles sinue le long chemin de la Platte au gré des intempéries et de la nature sauvage. La famille de Martha Jane – des mormons appauvris du Missouri – qui s’acheminent difficilement vers les montagnes rocheuses va subir les nombreuses épreuves communes aux pionniers de l’ouest pour finalement atteindre, non sans pertes, la ville de Salt Lake City bâtie par la communauté mormone quelques décennies auparavant. La petite communauté va tragiquement s’étioler permettant par la même occasion à la jeune héroïne d’envisager sa destinée. On suivra au fil des albums le parcours embuché de Jane à travers l’ouest américain sauvage pendant la seconde moitié du 19ème siècle, passant de petits boulots alimentaires à la célébrité, ses différentes rencontres, ses amours et ses nombreux échecs pour finir seule et malade dans la célèbre ville de Deadwood.


L’utilisation du point de vue intimiste procure un sentiment particulier au lecteur qui s’attache à la psychologie de l’héroïne, à ce bout de femme qui affronte son époque et ses injustices. Car les auteurs tentent de s’approcher au plus près de ce que pouvait être sa personnalité propre, ses rêves, son rapport à l’enfance et son désespoir. Ils la présentent brutale et pourtant d’une grande naïveté, dure et en même temps généreuse, révoltée et passive, une féministe avant l’heure pleine de désirs et de contradictions.


Par ailleurs, si le trait, un peu gras, de Mathieu Blanchin peut parfois apparaître légèrement chargé et grossier, il brosse une image émouvante de Calamity Jane qui, sous son crayon, n’est ni belle, ni vilaine, simple et attachante au même titre que les paysages qui évoquent le passé et une certaine mélancolie.


L’ensemble délivre un biopic profond et humain au cœur de l’ouest sauvage américain qui transporte toujours autant quand on le connaît et que je recommande chaudement à tous ceux qui n’ont pas encore eu la chance de le découvrir.


Edit : Critique publiée sur le premier Tome, l'intégrale étant référencée comme "livre".

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le 14 déc. 2016

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