En 1873, la conquête spatiale bat son plein, grâce à la découverte des propriétés étonnantes de l’étherite. Cette substance miraculeuse a d’abord permis à une machine volante construite en Bavière d’atteindre la lune. Ensuite, c’est l’armée prussienne qui est parvenue à conquérir la planète Mars. Désormais, les autres grandes nations européennes rêvent elles aussi d’étendre leur territoire sur d’autres planètes du système solaire. C’est le cas de la France et de l’Angleterre qui, suite à un "gentlemen’s agreement", selon l’expression de la Reine Victoria, ont décidé de se partager Vénus. Du côté français, c’est l’ambitieux Duc de Chouvigny qui est chargé par Napoléon III de développer la colonie sur cette planète. Affairiste flamboyant, celui-ci rêve déjà d’en faire une sorte de station balnéaire huppée, dans laquelle les touristes afflueront pour prendre les eaux. Mais avant de s’embarquer pour la Nouvelle-Cythère, qui est le nom donné par les Français à leur capitale vénusienne, le Duc est bien décidé à profiter une dernière fois des plaisirs terrestres. Il se rend donc à l’Opéra pour voir de ses propres yeux celle que le Tout-Paris admire: l’actrice Hélène Martin. Cette jeune femme, dont la beauté est celle d’une Vénus, a tout pour séduire le Duc de Chouvigny. Mais avant de céder à ses avances, elle lui adresse une requête plutôt étonnante: elle veut une place à ses côtés à bord de l’Excelsior, son dirigeable spatial. Evidemment, Chouvigny accepte, en se disant que son séjour sur Vénus va être bien plus agréable avec une telle créature pour l’accompagner. Mais il est loin de se douter qu’Hélène cherche en réalité à retrouver son fiancé Aurélien, un poète exilé au bagne sur Vénus par Napoléon III. Il est loin de se douter aussi que son séjour sur cette nouvelle planète va s’avérer bien plus mouvementé que prévu. Car si la nature sur Vénus est comparable à celle de la Terre, son stade d’évolution correspond à celui de notre préhistoire: autrement dit, l’environnement y est particulièrement inhospitalier, avec des jungles sauvages, des océans déchaînés… et même des dinosaures aussi gigantesques que féroces!
Comme l’indique directement la couverture du premier tome des "Chimères de Vénus", il s’agit d’une spin-off du "Château des étoiles". Dans cette série fantastique et poétique, qui se situe à mi-chemin entre l’univers de Jules Verne et celui des films d’animation japonais de Miyazaki, l’auteur français Alex Alice imagine avec beaucoup de talent et d’imagination que la conquête de l’espace démarre avec un siècle d’avance, à l’époque de l’impératrice Sissi et de Louis II de Bavière. Depuis la sortie du premier tome en 2014, la série "Le Château des étoiles" rencontre un succès tant commercial que critique, avec à la clé de très nombreux prix. C’est certainement cet immense engouement du public qui a poussé Alex Alice à demander à Alain Ayroles, le génial scénariste de la BD "Les Indes Fourbes", d’imaginer une série parallèle qui se déroule sur la planète Vénus. Il faut dire qu’Ayroles connaît extrêmement bien cet univers, puisqu’il a déjà donné plusieurs coups de main à Alex Alice pour peaufiner les scénarios des différents épisodes de la série-mère, en y ajoutant à chaque fois une bonne dose d’aventure, de merveilleux et d’humour. Dans "Les Chimères de Vénus", Alain Ayroles démontre qu’il se débrouille également très bien lorsqu’il est aux commandes tout seul. Il s’amuse clairement comme un petit fou dans ce dix-neuvième siècle à la fois complètement imaginaire et proche de la réalité. "Je suis allé voir du côté de l’histoire, de la littérature et des arts de cette période", explique Alain Ayroles. "Le méchant Duc de Chouvigny pourrait sortir d’un roman de Zola, comme Hélène, dont l’apparition évoque celle de l’héroïne de Nana. Parmi mes sources d’inspiration, on retrouve Flaubert, Rimbaud, Ponson du Terrail… sans oublier, bien sûr, Jules Verne, et aussi la science, telle qu’on la concevait à l’époque. L’univers du Château des étoiles est romanesque, fantaisiste, mais cohérent. On raconte au lecteur des choses abracadabrantes, mais avec un petit parfum de rigueur scientifique qui, par moments, confine à l’absurde." Si le scénario d’Alain Ayroles est captivant et spectaculaire, le dessin d’Etienne Jung est tout aussi impeccable. N’hésitant pas à sortir des cases quand il le faut, le dessinateur de la série "Gargouilles" produit des images enchanteresses, pleines d’émerveillement, qui collent parfaitement à l’ambiance de ce récit fantastique très inspiré de l’univers de Jules Verne. Dès les premières pages, on plonge avec délectation dans cette épopée spatiale improbable sur la planète Vénus, qui sera composée de trois tomes au total. Une toute bonne surprise, qui devrait plaire aux petits comme aux grands rêveurs.
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