Pour moi, l'heroic fantasy, la vraie, pas celle des Lanfeust de Troy et autres Epée de cristal, plus axée vers les jeux de rôle, c'est celle de Conan. C'est un monde chaotique en dehors du temps, l'âge Hyborien, situé entre la chute d'Atlantis et l'aube de l'Histoire, ce que les fans nomment la "sword and sorcery", et ce que j'appelle le style "peaux de bête et gros serpents".
Si Robert Howard avait pu se douter de l'aura déclenchée par son héros lorsqu'il le créa en 1932 ; mais ce type génial est mort en 1936 après avoir écrit 18 nouvelles de Conan à qui il adjoint aussi Red Sonja, son pendant féminin. Ce n'est que bien après sa mort, vers 1966, que ses livres sont réédités en format de poche et enrichis de superbes couvertures dessinées par Frank Frazetta, et c'est à partir de là que la jeunesse américaine s'intéresse au musculeux guerrier, redécouvre son univers et que le mythe prend forme.
En 1970, Marvel obtient les droits et charge Roy Thomas d'adapter ces nouvelles ; on connaît la suite : les comic books vont véritablement lancer aux Etats-Unis le genre fantasy jusqu'alors méconnu. En effet, le genre n'avait été abordé seulement que par des romanciers anglais, dont le plus fameux fut J.R.R. Tolkien, qui lui avaient donné un niveau littéraire d'une grande richesse. Le succès est donc foudroyant, et lorsqu'en 1981, John Milius réalise Conan le barbare avec Schwarzenegger, c'est l'apothéose.
Le premier tome de cette collection est signé par le grand Roy qui adopte un style raffiné, sûrement influencé par Tolkien, et dessiné par l'Anglais Barry Smith qui reste le premier illustrateur en BD de Conan. Autant le dire tout de suite, je n'aime pas du tout son style, trop fin, trop maniéré, trop délicat. Conan, c'est un barbare, un guerrier qui dépote, presque un sauvage qui tue ses ennemis sans faiblir et qui traite les femmes comme des objets de plaisir, il a besoin d'un dessinateur plus burné qui sache lui donner un dynamisme et une vigueur hors norme. Et pour moi, ce dessinateur c'est John Buscema ; si la bande a brillé par sa qualité graphique, c'est grâce à Buscema, le seul, l'unique qui a su transcender le personnage.
Conan aura d'autres dessinateurs très doués qui succéderont à Smith, comme Gil Kane, Esteban Maroto, Neal Adams, Jim Starlin, Gerry Conway ou Mike Kaluta et d'autres, mais pour moi, personne d'autre que John Buscema ne donnera à Conan sa véritable dimension et une telle fougue dans le mouvement, le côté rageur, épique, sensuel même ; par son trait à la fois souple et puissant, sa façon de représenter le Cimmérien les muscles saillants et le visage tendu ou à la moue menaçante est unique, de même que ses rendus glamour sur les femmes qu'il dessine sont vraiment prodigieux. Son travail est souvent encré par Alfredo Alcala, c'est d'une beauté sans pareille, l'association de ces 2 là n'a jamais été égalée dans le monde des comic books au niveau graphique, même chez les super-héros.
A côté, le trait de Gil Kane peut paraître bien terne vont penser certains observateurs, pas du tout, il est certes un cran en dessous, mais tout à fait digne de figurer au panthéon des dessinateurs qui ont donné à Conan ses lettres de noblesse en BD. Même chose pour Neal Adams même si je le préfère sur Batman ; ces gars ont offert des pages magnifiques que l'on retrouve au gré des numéros de cette collection des Chroniques de Conan qui est tout indiquée pour découvrir le monde farouche de l'âge Hyborien façonné par Crom et dans lequel évolue Conan le Cimmérien. C'est de la grande aventure, rythmée, violente, pleine de rebondissements et de créatures maléfiques, bref de la vraie fantasy rugueuse et guerrière !