Bien sûr, l'existence de cette BD compte, et a de l’importance. Elle a fait parler d'elle, des jeunes de mon âge la connaisse (c'est une qualité en soi) et elle parle d'un sujet qui méritait d'être soulevé. Il n'a même pas eu besoin de Weinstein pour être mis sur le tapis, ce qui est soulageant en ce qui me concerne ! D'autant plus que beaucoup d'hommes semblent ne pas comprendre lorsqu'ils harcèlent une nana, pensant "drague" plutôt que "forçage". Du progrès reste à faire, et c'est bien d'essayer de faire accélérer la cadence.
Mais je n'arrivais pas à lire la BD sans sentir que quelque chose clochait...
L'illustration ? Certes, c'est pas du Don Rosa, mais en même temps, qui lit la BD pour ça ? L'image du crocodile colle en plus ! Le "guide" à la fin contre ces harcèlements ? Au contraire, je suis admiratif de son existence à la fin de l’œuvre ! Les dialogues ? Ils sont ce qu'ils doivent être, ce que peu de BD revendicatives font. Les histoires ?
Ah, là, on touche au but !
Je sais que ce sont des anecdotes réelles, fréquentes dans les villes, et qui peuvent constituer pour ces dames de vrais cauchemars. Cependant, il y a deux énormes problèmes. Le premier, c'est la non-résolution de plusieurs intrigues. Le meilleur des exemples: une lycéenne est suivie par un mec, qui lui avait d'abord demandé si elle avait du feux, avant de se montrer aussi collant que BHL avec le Moyen-Orient qui ne lui a strictement rien fait. Elle avertit un camarade. Fin. As-t-elle prévenu le proviseur ? Si oui, est-ce que le mec a été interpellé par la police ? Quelle a été la résolution de la situation, pour lui comme pour elle ?? Pas de réponse. Or, avec ce genre d'histoire, il n'y a pas de place pour le doute ou le mystère, si on est vraiment concerné par son propos en tout cas. Il y a par ailleurs certaines anecdotes, où je trouve qu'on exagère : un caissier qui dit à une nana qu'il la trouve super-belle, ça s'appelle de la drague, c'est pas du harcèlement. T'as juste à lui dire "C'est mort". Les femmes ne sont pas des victimes permanentes.
Deuxième problème : n'avez-vous pas remarqué que le profil de ces femmes se ressemblent tous ? Ce sont toutes des femmes hautement respectables, elles ont toutes un travail (sauf les lycéennes bien sûr), et ce sont toutes des citadines. Or, quelle est la catégorie de femmes la plus visée par le harcèlement de rue ? Les prostituées. Elles, ça ne s'arrête pas forcément au verbe. Mais jamais l'auteur ne parlera d'elles. Comme si elles ne comptaient pas, comme si elles n'existaient pas, comme si ce problème ne les concernait pas. Ça va à l'encontre de ton esprit féministe, coco. Et la place des harcèlements en milieux ruraux ?
Voilà pourquoi j'ai été mitigé quand même à la fin. Comme si l'auteur avait réussi à faire passer son message, mais qu'en même temps il a fait des dégâts au passage. Après, je sais que, comme tout sujet tabou qui prête à débat, c'est à prendre avec des pincettes. Un dérapage est très facile à prendre lorsqu'on écrit sur un tel problème actuel. Je remercie quand même la BD d'exister. Mais la prochaine fois, faudra parler vraiment de TOUTES les femmes. Et bien parler D'elles, parce qu'elles savent se défendre. Ça fait d'ailleurs des millénaires qu'elles portent la force des hommes ; un jour, c'est aussi cette force qui rétablira enfin l'égalité hommes-femmes jusque dans les tanières des connards.