Dans les décombres d’une civilisation humaine moribonde, des adolescents se lèvent. Ils veulent de l’argent (des dollars – le monde peut s’effondrer, le billet vert restera toujours une valeur sûre) mais obtiendront bien autre chose. Quoi exactement ? Si vous ne craignez pas les piqûres graphiques, suivez les ombres sur les murs...


Cette ville les tuera


Des adolescents qui courent parce qu’ils vont être en retard à l’école : rien de plus banal. Á ceci près que les retardataires des Enfants de l’araignée encourent quelques sanctions : ils se font bastonner et à croire l’un d’eux, au huitième retard on est liquidé. Nouvelle pédagogie ? Peut-être. Ou plutôt une chasse aux bouches inutiles – les joies d’un univers malthusien – dans un univers post-apocalyptique où les ressources sont rares. Les sales gosses ne sont pas appréciés à Gothic Town, ville située au centre de ce qui fut autrefois le Japon. Que s’est-il passé ?


Au XXIIe siècle l’humanité ne va pas fort. Les survivants de l’anthropocène sont en petit nombre, la faute à un conflit nucléaire qui a quelque peu remodelé le paysage. Un parfum de Judge Dredd et d’Akira flotte dans l’atmosphère. Sorao, Mita et Kenji tracent leur route dans une ville mise en coupe réglée par un pouvoir autoritaire dont certaines incarnations sont ridicules : avec leur tenue d’escrime qui les anonymise, les agents de la répression n’hésitent pas à jouer de leurs armes pour attendrir la viande récalcitrante. Qu’à cela ne tienne, un son inaudible résonne à travers les pages, que l’on pourrait résumer par une phrase venue d’un autre temps : F_ck the police comin’ straight from the underground.


D’autant que Sorao et sa bande n’ont pas d’attaches dans cette ville. Ils sont originaires de Jina, un bidonville à l’ouest de Gothic Town mais ont été déplacés de force ici. Ils n’ont qu’une envie : rentrer chez eux. Pour cela ils ont besoin d’argent. Pour en avoir Sorao tient un scoop : des poissons se baladent en ville. Pas des vrais poissons qui déambulent dans l’air comme dans Blame! mais des ombres qui évoluent sur les murs de la ville. Mais nos apprentis reporters ne savent pas vraiment dans quoi ils mettent les pieds.


Hors les murs


Leur vie ne sera plus jamais la même. Pour le meilleur ou pour le pire ? Vous en jugerez après avoir parcouru les plus de 400 pages de l’ouvrage. Un de ses grands traits est assez facile à résumer : l’origine comme le dénouement importent moins que le chemin parcouru. Ce qui compte c’est le mouvement. La dynamique des ajustements prime sur l’équilibre (ou le déséquilibre) final. Et cet élément se retrouve chez les personnages : ils se définissent par ce qu’ils font – comme cela avait été évoqué à propos d’un autre personnage de fiction. J’agis donc je suis.


On n’en déduira pas que la série de Mario Tamura ne questionne pas le passé car ce dernier constitue le présent et l’avenir du lecteur. Il y a donc une mise en alerte par rapport aux risques constatés mais, pour autant, les solutions proposées sont soit monstrueuses soit à construire. Le récit est ouvert, les chapitres n'ont pas de titre, c'est à l’imagination du lecteur de penser des possibles.


Les pages nous offrent alors un univers où les jeux de contraste sont légion. De la ville écrasante du départ au vide une fois qu’on la quitte, de la vie confortable pour certains à la vie (moins aisée) dans les marges, des sentiments amoureux à l’inceste, de la petite à la vraie mort, de la sensualité des personnages féminins à leur dangerosité, de l’oppression à la liberté... les Enfants de l’araignée offrent tout un répertoire d’oppositions structurantes qui ne demande qu’à s’activer au fil de la lecture.


Dans les pattes de l’araignée


Les Enfants de l’araignée : le titre comme le récit pointe une figure symbolique importante (l'araignée) – on pourra penser ici à la place qu’elles occupent dans le film Enemy. On retrouve d’ailleurs l’allégorie de la peur à travers les créatures croisées dans le manga : peur de la privation de liberté mais aussi peur pour sa vie. Le titre suggère que les araignées ont un côté maternel, nourricier associé à un aspect menaçant : « la bête entière renverrait à une femme cannibale menaçant son enfant de le « manger » de baisers » ou d’autres choses. L’araignée renvoie aussi à l’image de la femme qui tisse sa toile pour attirer à elle. Les prostituées rencontrées dans l’ouvrage s’inscrivent assez bien dans ce cadre.


Pour le graphisme, celui-ci surprend par les variations que l’on observe au fil des chapitres. On se contentera d’évoquer Cherry – dont certaines planches ne sont pas sans évoquer les personnages féminins d’une mangaka publiée aussi chez Casterman : Kiriko Nananan et Sorao – le héros prend parfois des colorations proches de ce que peuvent donner Atsushi Ōkubo ou Masashi Kishimoto. Ces variations ne sont pas linéaires et c’est agréable pour les yeux de voir la modification en fonction des événements. Idem dans le contraste entre les jeunes et leurs oppresseurs masqués et autres élites dirigeantes en bout de course ; le jeu sur les proportions ou sur les couleurs. Il y a à boire et à manger à travers ce volume.


L’édition française possède sous le même format que celui de l’édition anniversaire de l’Habitant de l’Infini. Le tome se manipule donc avec facilité, tant pour la lecture que pour le transporter. Au Japon la série était parue en deux volumes ; ils sont fusionnés ici. La traduction et l’adaptation graphique sont assurées par un duo que l’on avait déjà vu à l’œuvre sur Cavale vers les Étoiles : Wladimir Labaere et Martin Berberian. Ils livrent à nouveau une copie sans fausse note qui permet de dévorer l’ouvrage quasiment sans s’interrompre (à part pour le moment où il vous faut descendre du bus parce que c’est votre arrêt).


Cavale vers Jina


Après le duo explosif de Cavale vers les Étoiles il y a quelques mois, voilà un nouvel ouvrage deux-en-un qui fait des ravages sur le plan visuel comme du contenu. Mario Tamura propose avec les Enfants de l’araignée un manga mêlant sensualité et violence, beauté et laideur, amitié et trahison pour un résultat détonant pour sa première œuvre à paraître en France. Une autre suivra-t-elle ? C’est tout le mal qu’on lui souhaite !


Un avis un peu plus complet et avec plein de jolies planches de l'ouvrage est à retrouver sous cette araignée.

Anvil
8
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le 18 oct. 2017

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Anvil

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