Jusqu'à l´épuisement... [critique tome par tome jusqu'au T16]

"Les Gouttes de Dieu - Tome 1" : didactique


Quelle drôle d'idée que ce manga didactique, visant à éduquer le Japonais moyen au vaste sujet des vins, non ? Le Français arrogant en nous peut même facilement se sentir vaguement condescendant sur le sujet. Sauf que Agi et Okimoto placent d'emblée la barre très haut en dissertant brillamment sur le Romanée-Conti, éveillant d'emblée l'intérêt de n'importe quel passionné, de quelque nationalité qu'il soit. Force est donc de reconnaître qu'on dévorera (non, fausse image, qu'on dégustera) les 200 et quelques pages de ce premier tome, passionnés par les très pertinentes informations techniques (certaines discutables, mais le vin est aussi une question d'opinion, et un peu de mauvaise foi passionnée est toujours bienvenue) comme par le scénario construit autour de cette découverte organisée de l'univers des grands vins, certes un peu "alambiqué" (hi hi) mais non dénué de résonances émotionnelles. Pour le moment, "Les Gouttes de Dieu" est une belle réussite, avec de vrais moments de grâce quand il s'agit par exemple d'évoquer visuellement les sensations provoquées par un grand vin.


"Les Gouttes de Dieu - Tome 2" : le projet


Après un premier tome particulièrement séduisant, on était en droit de se demander comment Agi et Okimoto pouvaient tenir leurs lecteurs en haleine, tout en continuant à "les éduquer" sur les mystères du vin : ce second volume dessine plus clairement le projet derrière les "Gouttes de Dieu", en développant un certain nombre d'intrigues secondaires, et en multipliant les rencontres avec de nouveaux personnages - non centraux au récit - mais dont la destinée est influencée par le vin, la connaissance ou plutôt la méconnaissance qu'ils en ont. On appréciera particulièrement les notes très mélodramatiques de certaine aventure amoureuse, qui se conjuguent bien avec l'envol d'un grand Bourgogne, et le débat - qui est une vraie question pour les amateurs de vins - sur la capacité des vins français à se mesurer à leurs rivaux du monde entier (ici, les vins italiens) dès qu'on souhaite rester dans des niveaux de prix abordables. A consommer sans modération, donc…


"Les Gouttes de Dieu - Tome 3" : Bluffant...


Peut-être plus passionnant encore que les deux premiers tomes des "Gouttes de Dieu", ce troisième volume voit Agi nous éduquer de manière particulièrement pointue sur les alliances - les "mariages" plutôt - entre vins et plats, et sur l'art et la manière de composer l'accompagnement en vins d'un repas complexe, d'une façon qui, je dois l'avouer, dépasse largement ce que j'ai pu lire sur le sujet dans maints ouvrages techniques français : et c'est tout bonnement bluffant… à condition qu'on s'intéresse à ce genre de choses, cela va sans dire, car sinon, on risque fort de s'endormir sur le livre ! Du côté plus classiquement ludique, Agi et Okimoto pimentent ce premier récit de scènes mélodramatiques classiques du plus bel effet, ce qui fait qu'on nage en plein bonheur. Ensuite, les trois derniers chapitres se dispersent un peu, et nous font attendre avec impatience le duel vins français contre vins italiens, tant il me semble que Agi soulève ici une question fondamentale : la capacité des vins français à offrir du plaisir dans des gammes de prix basses… A suivre...


"Les Gouttes de Dieu - Tome 4" : Pic d'émotion


Dans le 4ème tome des "Gouttes de Dieu", nous apprenons à oublier nos préjugés quant à la "marque" d'un vin (ce qui offre à Agi et Okimoto l'occasion de nous offrir LE pic d'émotion du livre autour d'une réconciliation familiale), puis nous assistons - enfin - au fameux duel entre vins bon marché français et italiens, nous offrant une conclusion logique (pour les "connaisseurs") mais maligne et ludique. Et enfin, enfin après ces longs préliminaires de 3 tomes, le duel au sommet autour de l'identification des "12 apôtres et des gouttes de Dieu" commence... Et très fort, avec un superbe "cliffhanger" qui prouve que Agi maitrise aussi - outre la connaissance du vin - l'art du manga. Nul doute que nous le suivrons dans ce périple brillant qu'on espère le plus interminable possible - voici une énigme dont on n'attend pas la résolution ! - en compagnie de toutes ces belles femmes et ces images enchanteresses que Okimoto invente pour matérialiser l'enchantement du vin.


"Les Gouttes de Dieu - Tome 5" : Etonnant


Étonnant 5ème volume des "Gouttes de Dieu", qui pousse le principe essentiel de la série, soit faire "fictionner" la capacité des meilleurs œnologues de "matérialiser" visuellement les sensations olfactives et gustatives engendrées par un vin, un cran plus loin : avec cette histoire d'amnésique dont un vin constitue l'ancrage mémoriel, Agi et Okimoto franchissent allègrement la barrière du fantastique romantique - un peu "niais" sans doute, mais notre goût et pour le vin et pour le mélodrame nous aide à passer outre certains clichés. Et ce d'autant que la conclusion nous ramène vers une vision beaucoup plus austère, japonaise dirons-nous, de l'amour : cette épouse au chevet de son mari dans le coma dans une chambre d'hôpital dénudée, bien loin des sous-bois romantiques du monde "imaginaire" des grands vins français, nous suggère d'ailleurs que nos héros œnologues vivent largement dans un univers fantasmatique où leur passion leur dissimule la dure réalité (on peut d'ailleurs tiquer sur la figure fantaisiste du SDF qui possède des caisses de Chambolle Musigny enterrées dans un jardin public !). Une piste à creuser pour la suite ? Pas sûr...


"Les Gouttes de Dieu - Tome 6" : Coup de barre ? Début de gueule de bois ?


Est-ce une certaine lassitude qui s'empare de nous après le premier millier de pages ? Est-ce plutôt réellement "un coup de barre" de Tadashi Agi qui peine - et on le comprend - à renouveler son concept de départ ? Toujours est-il que ce sixième tome de la saga œnologue des "Gouttes de Dieu" nous enthousiasme et nous charme moins que les précédents : entre la répétition systématique de l'illustration visuelle (éblouissante certes) des sensations apportées par les vins dégustés (personnellement, je tique un peu sur l'assimilation du Château Margaux à la Reine Cléopâtre, mais je suppose que, vu du Japon…) et le relatif manque d'intérêt du nouveau défi relevé par Shizuku (prouver à un snob qu'il n'y a pas que la "marque" du vin qui compte, une question pertinente il est vrai dans les pays où la culture du vin n'est pas encore établie…), on patauge un peu dans la banalité ici. Et ce n'est pas la résolution de la première énigme - il en reste 12, ouuufffouuufff ! - qui nous rassure sur notre capacité à poursuivre un tel marathon.


"Les Gouttes de Dieu - Tome 7" : le vin et la beauté de la vie...


Quelle superbe manière de répondre aux doutes qui m'avaient envahis à la lecture du 6ème volume des "Gouttes de Dieu" que ce septième tome qui se révèle un pur enchantement, et dans lequel Agi laisse libre cours à ses instincts romantiques les plus irrésistibles… Suis-je donc une pure midinette pour verser tant de larmes devant ces récits d'histoires d'amour contrariées, ou de frustrations profondes que la vie a infligées, et que le vin, miraculeusement, va soigner, résoudre ? Ou bien, plus certainement, Agi ne touche-t-il pas, au delà du didactisme efficace de ses "Gouttes de Dieu", la raison fondamentale de l'existence de tout art (et le vin est un art, au delà de la technique et de l'industrie, aucun doute dans l'esprit de Agi ni dans le mien…) : ouvrir notre cœur et notre âme à la beauté de la vie ?


"Les Gouttes de Dieu 8" : trop, c'est trop...


Et si, à force de vouloir augmenter la complexité de ses énigmes œnologiques, Agi commençait à dépasser les bornes dans ce tome 8 des "Gouttes de Dieu" pour le moins outrancier ? Quand l'un des adversaires cherche la purification par la souffrance dans un désert glacé aux confins de la Chine (et y trouve l'amour - enfin, une scène sensuelle...), l'autre joue les Hercule Poirot face à une seconde énigme redondante dont on saisit mal la manière dont elle nourrit le sujet principal du livre, l'identification du 2e apôtre à partir du mystère éternel de Mona Lisa. Au final, entre les deux Jocondes, un fausse fausse couche, la route de la soie, etc. trop, c'est trop : on n'y croit plus, et du coup, on se désintéresse de l'artificialité trop grande d'un récit, devenu aussi spectaculaire que vain, qui semble s'égarer dans ses circonvolutions autour du vin. Espérons un retour à plus de subtilité au Tome 9 !


"Les Gouttes de Dieu - Tome 9" : l'ennui gagne...


Puisqu'on n'est pas encore entré dans le vif du sujet de la recherche du ·"troisième apôtre" (et il y en a 12, est-ce que cela veut dire qu'on va friser la cinquantaine de tomes avec les "Gouttes de Dieu" ?), on voit dans ce neuvième volume nos héros venir une fois de plus à la rescousse de pauvres âmes dont les problèmes familiaux ou émotionnels ne sauraient être résolus que grâce au vin : sans être particulièrement cynique, il y a un moment où l'on n'y croit plus trop, surtout quand le syndrome vaguement nazi de l'obsession de la pureté raciale d'un personnage (français...) se trouve comme par miracle effacé par la dégustation d'un bon Bourgogne...! A force de baguenauder autour de son sujet et de chercher des scénarios de plus en plus alambiqués (hihihi...) pour expliquer et matérialiser les notions essentiellement abstraites liées à la "science" du vin, Agi nous fatigue. On aime nettement plus la première partie de ce livre, qui voit notre héros retourner vers son enfance pour y chercher les sources de sa névrose. Bref, au final, un neuvième volume irrégulier, ce qui fait qu'on attend avec impatience le dixième, qui devrait voir la tension remonter.


"Les Gouttes de Dieu 10" : retour bienvenu à la quête des "apôtres"...


Après le désenchantement des deux précédents volumes, ce 10ème tome du manga œnologique "les Gouttes de Dieu" nous rassérène un peu : comme quoi, la fratrie Agi devrait bel et bien se concentrer sur son intrigue principale, la recherche des 12 apôtres... On apprécie particulièrement le concept très ambitieux qui sera au cœur de la recherche du troisième apôtre, disons pour simplifier le lien entre un vin et un souvenir "chaleureux" dont il s'agit de matérialiser l'essence à travers les éléments qui constituent le "terroir" d'un vin (qu'est-ce qui fait qu'un vin peut donner une impression humaine et rassurante ?). Ceci dit, s'il est intellectuellement assez vertigineux de rechercher des indices dans le vieillissement des plans de vigne et leur impact sur le vin produit (un chapitre techniquement passionnant comme on en manquait depuis un certain temps), ou dans les odeurs rassurantes de pâtisseries au chocolat, j'ai quand même l'impression que la recherche de tels concepts risque de nous éloigner de plus en plus d'une construction crédible de l'enquête de nos œnologues japonais préférés. Agi frère et sœur, il faudrait quand même voir à ne pas trop tirer sur la corde de notre crédulité !


"Les Gouttes de Dieu 11" : ... le bouchon un peu trop loin ?


La recherche du 3eme apôtre est l'occasion de l'épisode le plus "extrême" sans doute à date des "Gouttes de Dieu", l’œnologie faisant ici plus que frôler le fantastique : le vin comme déclencheur de souvenirs perdus ou comme libération de traumas enfouis, Agi et Okimoto nous ont déjà "fait le coup"... mais cette fois, ils "poussent le bouchon" un peu plus loin (un peu trop loin peut-être ?)... Le résultat, c'est bien sûr que le mélodrame gagne en intensité - au delà de la rivalité entre deux génies de l’œnologie, le lien entre les deux frères se matérialise lors d'une conclusion assez superbe de l'épisode -, mais aussi que Agi confère finalement au vin des capacités quasiment magiques qui font quand même sourire. Je me demande si les innombrables fans japonais du manga ne sont pas au final déçus lorsqu'ils confrontent leur propre expérience, inévitablement triviale, de la dégustation avec l'univers fantasmagorique que décrit "les Gouttes de Dieu".


"Les Gouttes de Dieu - Tome 12" - une centaine de pages mémorables...


Le douzième tome des "Gouttes de Dieu" commence superbement par une histoire presque parfaite : un beau mélodrame, avec un suspense tendu, avec de vrais méchants (et si ce qui manquait aux "Gouttes de Dieu", c'était tout simplement des "méchants" ?), ou plutôt de vraies méchantes, et même une conclusion sensuelle et ambigüe étonnamment adulte, voire cynique, qui tranche avec l'atmosphère mi pédagogique, mi onirique du manga. Dommage qu'après ces premières 100 pages excellentes, on retrouve le train-train habituel, devenu vraiment routinier, des défis œnologiques à résoudre, défis qui manquent singulièrement d'enjeux.


"Les Gouttes de Dieu - Tome 13" : transition avant le nouvel apôtre !


Après le petit sommet de la série qu'avait constitué le Tome 12, ce treizième volume des "Gouttes de Dieu" marque - logiquement - le pas. Si l'on est - techniquement - heureux d'apprendre comment accompagner les plats les plus épicés (et je vais tester les propositions de Tadashi Agi, c'est certain !), l'épisode "coréen" manque singulièrement d'enjeux, alors qu'il y avait là le potentiel de faire monter la pression dramatique (la première rencontre - troublante - entre Shizuku et Loulan, l'attraction ressentie par Mi-Hee), au point qu'on se demande un peu pourquoi Agi n'ouvre pas plus la porte au mélodrame... Quant à la seconde partie de ce volume, il s'agit de la transition habituelle qui lance la recherche d'un nouvel apôtre, recherche qui sera cette fois consacrée au souvenir du "premier amour", associé par ailleurs à la musique, soit un thème passionnant qui laisse bien présager du tome 14.


"Les Gouttes de Dieu - Tome 14" : standard...


Un tome "standard" que ce 14ème du cru ! La recherche du 4ème apôtre se traduit par un double voyage sentimental dans le passé des deux frères ennemis, pour retrouver les sensations oubliées d'un premier amour : un peu cucul quand même, même si le registre décliné dans les deux cas est celui de la désillusion et de la dégradation des souvenirs et des sensations. D'un autre côté, les scénaristes nous refont le coup de l'antagonisme / la fusion des cultures japonaise et française, rien de nouveau donc, même si le travail proposé sur les plats de cette "fusion" est ma foi intéressant : on voit comment chacun peut interpréter à sa manière, en fonction de sa culture une même expérience gustative. Enfin, on soulignera le parallèle établi dans ce tome entre la discipline musicale et celle de l’œnologie, qui culmine dans la très belle scène de "libération" de l'orchestre de jazz de rues. A suivre…


"Les Gouttes de Dieu - Tome 15" : avec un excellent chapitre "policier"...


Après la conclusion de la recherche du 4ème apôtre, fort élégante d'ailleurs - à chacun sa perception de ce qu'est un "premier amour" -, ce quinzième tome des "Gouttes de Dieu" se poursuit avec les désormais habituels épisodes qui permettent d'enseigner / expliquer certains aspects de la "culture du vin" de manière non didactique : nous avons droit cette fois à un chapitre sentimental qui reprend le thème du vin comme vecteur de messages et de sentiment au sein du couple, mais cette fois de manière tellement exagérée que ça en devient presque risible, puis à un excellent chapitre "policier" - une nouveauté pour ce manga - où il s'agit de débusquer un coupable sur la base de sa connaissance du vin, chapitre fort réussi. A noter aussi la conclusion très "humaniste", très japonaise en fait, qui fait du pardon et de la réparation la meilleur finalité possible de la découverte d'un criminel.


"Les Gouttes de Dieu - Tome 16" : grosse déception :


"Les Gouttes de Dieu" continuent leur parcours "en montagnes russes" : après le plaisir que nous avait donné un tome 15 original, ce 16ème volume constitue, il faut bien l'avouer, une assez grosse déception : d'abord, le pari posé en fin de tome précédent - identifier des vins ayant perdu leurs étiquettes - est bel et bien bâclé et ne débouche, curieusement, sur rien de concluant ! Ensuite, si l'on sourit un moment devant les relations amoureuses croisées qui semblent se lier entre les protagonistes, le "lancement" de l'énigme du cinquième apôtre oriente "les Gouttes de Dieu" de manière assez inattendue - et peu convaincante, pour le moment - vers l'alpinisme et le vertige des sommets. Bon, on veut bien, mais on a quand même l'impression que Tadashi Agi va chercher de plus en plus loin ses paraboles sur le pouvoir du vin… A suivre donc, dans le 17ème tome.

EricDebarnot
6
Écrit par

Créée

le 18 sept. 2014

Modifiée

le 19 sept. 2014

Critique lue 550 fois

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Eric BBYoda

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