Ce qu'il y a de vraiment bien, à Noël, ce sont les BD sous le sapin ! Cette année, j'ai déballé ce gros volume dédié à l'une de mes marottes, celle qui a fait que j'ai voulu, pendant des années, devenir réalisatrice de films : La Guerre des Étoiles. Je suis une enfant des années 70, foutez-moi la paix, les personnages s'appelaient alors Yan Solo et Chiktabba, et on ne mâchait pas encore les mots anglais comme des chips au paprika. Quelle bonne idée que d'avoir mis la naissance du premier épisode de la saga en images ! On a l'impression d'assister à la genèse du mythe en direct ! Et, franchement, la foule d'obstacles que George Lucas a dû affronter avant de triompher m'aurait conduite droit en prison ou à l'asile, donc je n'avais pas l'étoffe de mes ambitions, j'ai bien fait de m'enfermer dans la solitude d'un atelier d'artiste à la place. Enfin, c'est ce que je me dis pour me consoler, parce que, quand même, quand on considère la magnitude de l'acte créateur subversif de Lucas, ça ne peut que laisser au moins admirative sinon envieuse. Lui a su accoucher de toutes les idées qui lui trottaient dans la tête, leur donner une forme acceptable sans jamais se dresser sur ses ergots pour leur conserver leur physionomie initiale (c'est là que je serais passée par la case asile), affronter l'incompréhension (pour ne pas dire la petitesse bornée) des décideurs en cravate (c'est là que je serais passée par la case prison) et les réglementations salutaires qui protègent les travailleurs des obsessions des génies (case prison à nouveau) et finalement garder un cap à peu près cohérent dans un million de tourmentes. Alors là, chapeau. Le tout sans aucun détachement, au point de frôler la case hôpital, que j'aurais forcément occupée pendant quelques années à sa place. Bref, voilà un créateur obstiné d'une trempe exceptionnelle, il faut s'incliner. En proie à l'indifférence, à la morgue, aux moqueries, il a su ne rien lâcher et a eu la chance de s'entourer d'amis au diapason et d'une compagne aux petits oignons. La BD leur rend un vibrant hommage amplement mérité. Et remet de l'ordre dans toutes les interviews et articles et reportages qu'on a pu voir au cours des décennies en reprenant l'histoire depuis le début. Ça se suit comme une épopée, quasiment plus riche que la saga filmique en elle-même. En fait, j'avais raison depuis le début : c'est bien l'élaboration de l’œuvre qui dépasse l’œuvre, et je vais tâcher de garder ça en tête dans mon petit atelier, en songeant à toutes les tourmentes traversées par ce géant du cinéma qu'est aujourd'hui encore George Lucas, taiseux, pansu, inconditionnel de la chemise à carreaux comme Forrest Gump, introverti mais prolifique et porté par une vraie vision. Éclipsé depuis 40 ans par son travail et ses acteurs, il était bien temps de lui rendre l'hommage qu'il mérite. Le trait épuré de ce gros volume, parfois à la limite d'une redoutable sobriété, réussit malgré tout à rendre au mieux toute la complexité d'un système et d'une époque qu'on aurait tendance à appeler un peu vite "le bon vieux temps", principalement parce que le monde court vers le pire aussi vite qu'il le peut et non parce que tout était rose à Hollywood au début de nos vies. Mais, sans abondance de détails, c'est malgré tout une tranche de notre existence qui revit là, suffisamment densément pour qu'on retrouve cette familiarité qu'on apprécie dans les bons livres. Bref, une vraie réussite, en somme.