Les Hélvétiques est l'album de Corto Maltese le plus doux et le plus calme mais aussi, semble-t-il, l'un des plus boudés avec Mû. Il fait pourtant partie des quelques albums pensés directement en couleurs, il ne s'agit donc pas d'un lavis fade apposé sur une grammaire dense de noir & blanc mais bien de véritables coloris sur un dessin au trait plus épais et aux blancs plus présents. Ces couleurs donnent à l'album son ton automnal, presque crépusculaire. Dans l'album précédent, Tango, Corto revenait sur les pas de son passé à la recherche d'une amie perdue. Le rouge de sa couverture y était encore vif, vivace.
Dans cet album loin de la frénésie habituelle, un Corto éreinté se retire en Suisse chez l'écrivain Hesse et se laisse aller à de doux songes lorsqu'il pique du nez sur un livre de légendes locales. Il croisera Klingsor, la Mort et autres images directement héritées de miniatures médiévales et de danses macabres allemandes. Si jusque là le fantastique, le rêve et l'alchimie n'étaient présents que par bribes insaisissables et ambivalentes, Pratt peut ici faire éclater tout son imaginaire et son humour, à l'instar du Songe d'un matin d'Hiver des Celtiques.
Profondément mélancolique et nostalgique, ce voyage onirique semble être un pénultième pèlerinage ésotérique après les adieux au monde moderne de Tango, la fontaine de Jouvence ne lui donnera pas la vie éternelle et sa descente dans le temple souterrain de Mû sera son ultime aventure, encore plus hallucinatoire et fantastique, vers le monde des Morts ; là où regardent les Moaï... Quand bien même le petit maltais ne disparaitrait (sans mourir pour autant selon l'auteur lui-même) que dix ans plus tard durant la Guerre d'Espagne.
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