Avec Les Indes Fourbes, c'est un bel objet qui s'expose au regard interdit du lecteur curieux. Si l'aspect inhabituel, que ce soit par le format de grande taille ou la couverture digne des tableaux de jadis n'y suffit point, les noms d'Ayroles et de Guarnido ne peuvent qu'éveiller l'intérêt du plus distrait des amateurs du IXème art. Le premier ayant commis, entre autres, les excellentissimes De Cape et de Crocs ou Garuflo, le second, excusez du peu, étant le génial illustrateur de la non moins excellente série des Blacksad. Nanti d'une telle lettre de cachet, le plus blasé des bédéphiles ne peut empêcher la tachycardie d’accélérer son pouls déjà fébrile. Les mains tremblantes, le souffle court, l'ouvrage pouvait commencer à révéler l'incroyable périple d'un fourbe patenté...
Le gigantisme des planches met d'emblée en valeur le trait sûr de l'illustrateur inspiré. Eléments de décors détaillés, vêtements misérables ou chamarrés, paysages sylvestres et luxuriants ou plus austères, tout respire la maîtrise de l'artiste. Et que dire des anatomies et en particulier les expressions faciales, sinon qu'elles illustrent à la perfection un récit picaresque haut en couleurs.
Le récit, parlons-en ! Découpé en trois parties d'inégales proportions, il apparaît un peu long dans le déroulé de son premier chapitre, sans mettre à la torture non plus le lecteur enfiévré. Mais tout ceci n'est qu'une habile mise en bouche dont la saveur réelle ne se révélera qu'au terme du troisième chapitre. Le talent narratif d'Alain Ayroles se révèle au grand jour à ce moment-là, et plus encore avec un épilogue qui répond au prologue jusque-là demeuré abscons. La supercherie suprême est révélée, le fourbe découvert de son propre aveu !
Il demeure qu'au fil de ces quelques 156 pages enchanteresses, il nous est donné de revenir sur cette conquête ô combien sanglante de l’Amérique centrale et des horreurs humaines et patrimoniales irréparables qui ont été commises à cette époque-là. Si l'on ajoute le poison de la religion fanatique pratiquée par ces hallucinés du métal précieux qui a fait la renommée de ce que l'on qualifie aujourd'hui de "grandes découvertes", les peuples amérindiens ne pouvaient que succomber, comme tant d'autres avant et après eux, à l'hégémonie militaire et culturelle des envahisseurs européens. Vae victis, comme ont prôné les légions impériales, ancêtres belliqueux de ces conquistadors avaricieux.
L’histoire évoquée ici aborde ces questions autour du destin d'un être sournois dont la duplicité n'a d'égale que la gueuserie. Mais la plume évocatrice de l'auteur et le pinceau altier de son compère dessinateur savent parer de mille atours cette épopée qui sonne comme une mystification d'une ampleur démesurée. Tout comme cet ouvrage en comme.
Toi qui goûtes les aventures croquignolesques, prépares toi à savourer un festin de monarque !