La littérature du Siècle d'Or espagnol, n'est pas forcément ma tasse de thé. Parce que j'ai étudié la deuxième partie du Quichotte de fond en comble pour des raisons professionnelles et que c'est le seul bouquin qui m'est tellement tombé des mains que je sombrais dans un sommeil profond au bout de deux chapitres, pour au moins 40 minutes de sieste. Un pensum. Je sais qu'en disant ça, je fais un peu de hors-piste académique, qu'on ne cesse de louer l'inventivité de ces auteurs classiques, leur folie, leur originalité, etc. Heureusement pour eux, Ayrolles et Guarnido sont passés par là. En fait, je me dis que Quevedo, Cervantes et consorts étaient voués à être auteurs de BD bien avant que le 9ème art n'existe, parce que l'usage que nos contemporains en font est tout bonnement idéal, et ça contribue à me les réhabiliter un peu. La bonne connaissance de l'Espagne classique est un plus pour savourer cette histoire foisonnante, mais elle n'est pas du tout nécessaire tant le traitement par le duo de génie lui ouvre les portes d'une universalité rayonnante. Dès le prologue, au cœur des Ménines de Vélasquez, on prend la mesure de la maestria graphique et de l'inventivité scénaristique. Nous voilà projetés de la manière la plus dynamique qui soit à la Cour, sous le regard sévère du Maître, en présence de l'Infante, des nains, des ménines et même du chien matin espagnol au regard placide, tandis que l'intendant supervise tout depuis l'encadrure de la porte. Et Guarnido opère ce demi-tour dont tous les amateurs d'art rêvent depuis le XVIème siècle... ça devrait suffire à faire se ruer les foules sur ce somptueux volume, présenté comme un ouvrage d'époque. L'objet en soi est déjà une invitation au voyage temporel. Je n'ai pas lu le Buscon, même si j'en ai désormais presque envie, mais je me suis retrouvée projetée immédiatement dans ses pages de légende, aux côtés de son héros picaresque tandis qu'on le balance par-dessus le bastingage du galion qui devait l'emmener vers les Amériques et un avenir riant... plus immersif, tu meurs. S'ensuit une série de péripéties jubilatoires, qui tiennent tout le premier livre et seraient déjà hautement satisfaisantes si le deuxième livre ne venait pas
chambouler tout ça, mettre l'histoire cul par-dessus tête, et rebattre les cartes de la plus ingénieuse des façons
. J'étais pantelante, mais c'était sans compter sur le troisième livre ! Et là, exit Kaiser Söze; vire-toi du firmament des
imposteurs
, tu as trouvé ton maître, béotien ! Impossible d'en dire plus sans gâcher la lecture des petits veinards qui n'ont pas encore franchi le seuil de cette histoire à tiroirs multiples autant que savants, mais à la portée de tous malgré tout. Une vraie réussite, festive, esthétique, profonde aussi, par sa critique des mœurs du temps et l'empathie dont elle fait preuve envers les humbles. Oscar graphique aux cadrages et aux postures de Guarnido, physionomiste hors pairs, en prime. Quelle jubilation !