"Les Intrus" est mon premier Tomine, auteur américain (mais métis d'origine japonaise...) de "romans graphiques", comme on dit pompeusement là-bas pour distinguer la BD un peu adulte du commun des comic books pour ados. Au bout de quelques pages des "Intrus" (le titre original de "Killing and Dying" n'est pourtant pas mal...), impossible de ne pas penser au génial Chris Ware (la minutie elliptique des dessins, superbes...) et à Daniel Clowes (la peinture terriblement dépressive d'une Amérique moyenne, citadine, aux espoirs et aspirations inévitablement déçus...). Au fil des pages de six de ce qu'on pourra qualifier de "nouvelles", qui n'ont d'ailleurs que peu de points communs (Tomine effectuant en outre des variations graphiques et narratives de l'une à l'autre), quelque chose de singulier s'impose néanmoins, une "petite musique" qui se révélera sans doute (il me faudra le confirmer avec d'autres livres...) "tominienne" : une sorte d'empathie, voire de tendresse envers ses personnages de blessés, voire de vaincus par la vie, se dessine discrètement derrière l'humour de certaines situations. Malgré les comportements légèrement déviants, ou simplement erratiques, des "héros" ordinaires des "Intrus", comportements qui sont souvent des stratégies d'évitement du désespoir une fois que tout s'est effondré, on reconnaît dans la douce prison de ces cases bien ordonnées par un Tomine qui, en bon "japonais", ne sacrifie jamais aux facilités du débordement demonstratif d'émotion, nos frères, nos soeurs de souffrance. "Les intrus" est un livre captivant, fascinant, plus complexe qu'il ne pourrait sembler de prime abord (même si Tomine ne joue jamais "au malin" comme Ware par exemple), un chef d'oeuvre en mode mineur. [Critique écrite en 2016]