Matthias Lehmann propose, avec Les Larmes d’Ézéchiel, un roman graphique en noir et blanc aux allures décousues, où cette forme d’errance narrative reflète parfaitement l’errance psychologique de son personnage principal. Si cet aspect manque évidemment de séduire d’emblée le lecteur, il faut bien avouer que l’ambition du récit est là, sous-tendue tout du long, et que la pertinence de l’œuvre ne se fait jour qu’à la toute dernière page avec
une efficacité qui incite alors à relire l’ensemble pour mieux en apprécier la forme, idéalement adéquate.
La mort de son oncle replonge Bette dans son passé et la voilà qui nous raconte son alcoolisme naissant à l’aube de l’adolescence au sein d’une famille qui se désagrège. Parallèlement, la jeune femme découvre, par le biais d’un ami proche, un obscur documentaire sur un forçat inconnu de la bande-dessinée qui, plutôt que de jouer du crayon, grave minutieusement les innombrables planches de son œuvre dans le linoleum.
Les Larmes d’Ézéchiel est
un livre sur l’errance,
met en clairs obscurs la dépression inhérente à l’absence de projet, l’impression de vide et d’inutilité liée à l’absence de but et aux difficultés de faire confiance à ses propres sentiments. Raconte la vacuité et la solitude derrière le rejet de soi. Et mène finalement la jeune Bette à dépasser ses angoisses pour affronter l’existence.
Tout accomplissement s’accompagne d’une perte.
Lignes claires et rondes, univers réaliste où les accidents de vie coulent sur les courbes graphiques de personnages monoblocs qui ne se confrontent pas les uns aux autres et préfèrent se retirer du réel que d’y apprendre sur eux-mêmes, le noir et blanc et agréable, le dessin soyeux, et
la charte graphique fait l’idéal contrepoids tout en légèreté d’un récit sombre et lourd.
Les Larmes d’Ézéchiel s’articule autour des cycles pérennes et répétés de l’existence : grandir, partir, tourner la page pour s’ouvrir sur de nouveaux horizons. Toute la difficulté à se défaire d’un passé encombrant est là, jamais frontalement mais toujours dans l’arrière-plan psychologique de l’héroïne, dans ses errances et ses hésitations. Le jeu de mise en abîme décalée entre le documentaire et le passé de Bette vient appuyer sur
les parallèles d’une recherche artistique et d’une construction personnelle,
raconter l’urgence d’abandonner son ego pour espérer atteindre une forme d’épanouissement volatile, éphémère, et fait alors écho au quotidien de tout un chacun sur les difficultés de se connaître, de s’accepter et de s’ouvrir à l’autre.
Une belle ambition narrative autour de
l’acceptation de soi,
sans grandiloquence, mais dont la simplicité brute fait l’humble efficacité.