Enfin ! Martin se débarrasse de ce style étriqué aux dessins à la Jacobs et aère ses planches ; c'est en effet l'album du grand changement dans cette série, l'épisode où le dessin s'est stabilisé et a trouvé son style définitif, rompant ainsi avec ces planches à petites cases et petits lettrages. Le dessin est vraiment beau, moins figé qu'on ne le prétend, avec des décors précis ; c'est d'ailleurs curieux car j'ai l'impression que le dessin semble plus figé dans des albums ultérieurs et qu'ici, il est plus fluide, mais peut-être est-ce une impression, il y avait longtemps que je n'avais pas relu du Alix.
Ceci dit, Martin conservera toujours les suspenses de bas de page, c'est encore flagrant ici, n'oublions pas que cette technique typique de la BD franco-belge était adaptée aux journaux qui diffusaient ces bandes, que ce soit Tintin ou Spirou et plus tard Pilote, il fallait toujours laisser un cliffhanger en bas de chaque page pour que le lecteur reste dans l'attente de la suite à la parution suivante, c'était une figure imposée.
Cet épisode joue sur la rivalité entre César et Pompée, on y voit que Martin semble bien documenté et il offre un échantillonnage de ce qui constituait le monde romain : des combats de gladiateurs (avec un respect des catégories de combattants et de leurs armes), les oies du Capitole, l'épisode de Brennus avec le mot fameux " Vae Victis" (Malheur aux vaincus), le premier triumvirat constitué par César, Pompée et Crassus, et on voit les 2 ennemis Pompée et César. Cependant, Martin commet quelques erreurs importantes : Crassus n'a pas été torturé en recevant de l'or dans la bouche, il a été durement vaincu par les Parthes mais il a été traitreusement assassiné alors qu'il négociait sa reddition. Une erreur de date aussi concerne le siège de Rome par Brennus qui a eu lieu en 390 av J.C., alors que l'action se situe vraisemblablement après la reddition de Vercingétorix en 52 av J.C., il ne s'est donc pas écoulé un demi-siècle entre ces 2 dates mais 3 siècles.
Ce qui nous amène à la fameuse épée de Brennus, ramenée après tout ce temps à Rome, c'est peu probable. Je trouve donc que le prétexte est un peu léger pour lancer cette histoire, et qu'en tant que trophée déposé au Capitole, elle devait être bien gardée, aussi la dérober ne devait pas être aisé ; mais bon, passons, il faut bien un prétexte. Autre sujet où je suis dubitatif : lorsque Vanik déclare page 51 que la domination romaine est bénéfique à la Gaule, il ignore que les Romains après Alésia, ont exporté des milliers d'esclaves à Rome ou sur des galères ; d'autres Gaulois seront durement traités après la dernière place forte d'Uxellodunum abattue. La Gaule gallo-romaine pacifiée et civilisée ne viendra donc que bien plus tard, sous l'Empire.
Enfin, le coup des loups me semble un peu trop facile et naïf, Martin en fait une sorte de deus ex-machina qui vient sauver les héros lorsqu'une situation devient dangereuse... c'est quand même un animal sauvage qui n'était pas docile surtout à cette époque, c'est donc assez peu crédible.
Après tous ces reproches et malgré toutes ces imperfections, cet album est bon dans sa globalité, l'histoire progresse bien, les personnages bons ou méchants jouent bien leur rôle, et le tout est magnifié par le dessin qui comme je le disais au début, a trouvé une véritable maturité graphique. Et curieusement, Martin n'est pas trop redondant dans ses hors-textes, ce phénomène s'amplifiera dans les albums suivants.