J’ai toujours aimé Alix. Strasbourgeois d’origine mais formé à Bruxelles, Jacques Martin crée la série en 1948 pour Le journal de Tintin. Il associe le caractère intrépide et droit du célèbre reporter au style précis et réaliste de Black et Mortimer, plongeant le tout dans la Rome antique. Alix est un orphelin gaulois, adopté par un proche de César. Parfaitement intégré à la classe dirigeante, le jeune homme est foncièrement romain, tout en assumant son hérédité gauloise. Les scénarios sont complexes et sombres. Son monde est tragique. On y rit peu et meurt beaucoup. Il perdra, au fil des épisodes, la plupart de ses compagnons.
Une sombre machination de Pompée vise à soulever Gaulois et Germains. Alix bondit et rallie le général Héraclus, qui lance ces deux légions à la rescousse de César. Elles disparaitront dans la tourmente, mais notre héros sauvera le consul et préservera la pax romana.
L’épisode s’inspire de la bataille de la Forêt de Teutobourg (9 après J.C.) qui vit les XVII, XVIII, et XIXe légions du général Publius Quinctilius Varus, soit plus 20.000 hommes, sombrer corps et biens. Le jeune Caius Julius Arminius, fils de Ségimerus chef des Chérusques, est citoyen romain et proche conseiller du Varus. Il l’assure de la loyauté de ses hommes tout en nouant secrètement une alliance avec les autres peuples germains, les Marses, Chatti, Bructères, Chauques et autres fiers Sicambre. Il le pousse à entrer en campagne, puis à s’engager dans la forêt de Teutaubourg. La zone est hostile, l’automne rigoureux, le territoire inconnu. Il pleut, les soldats frissonnent et peinent à tracer leur route entre les marécages. Les colonnes s’étirent… L’assaut est donné. Les auxiliaires germains trahissent. Les lourds légionnaires résisteront trois jours aux assauts furieux. Varius se suicide, les trois aigles sont perdues, le désastre est total.
Bien que les sources scripturales soient parcellaires, l’épisode sera élevé au rang de mythe fondateur par les romantiques allemands du XIXe siècle. Il s’agissait de réagir à l’effondrement de la Prusse, consécutif au désastre d’Iéna, et d’appeler à la réunification des principautés germaniques. L’Empire allemand est fondé en 1871, alors que la France s’affaisse à son tour. Au retour d’un long séjour à Berlin, l’historien Jules Lavisse est convaincu de la nécessité de refonder un récit national. Objectivement, la France est l’aboutissement de sept siècles de monarchie capétienne, mais la République est trop fragile pour célébrer des Bourbon qui lui sont hostiles. Le pays doit son nom et sa monnaie aux Francs, hélas Clovis était catholique. Les Romains sont trop italiens… Restent les Gaulois qui présentent le mérite d’être accommodants : nous ignorons tout d’eux, de leurs coutumes, religion ou langue. Nous ne les connaissons que par La Guerre des Gaules, un récit où César s’est grandi en les décrivant comme de rudes adversaires. Vive les Gaulois !