Ma vie avec Clint
Clint est octogénaire. Je suis Clint depuis 1976. Ne souriez pas, notre langue, dont les puristes vantent l’inestimable précision, peut prêter à confusion. Je ne prétends pas être Clint, mais...
le 14 oct. 2016
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Il y a trente ans, pour le cinquantenaire de la Victoire et de la libération des camps d’extermination, Annick Cojean publia une série d’articles dans le journal Le Monde sur la Shoah qui réveilla les consciences et lui valut le prestigieux prix Albert Londres. Trente ans plus tard, alors, alors que les deniers survivants s’effacent et que les consciences semblent s’émousser, Théa Rojzman et Tamia Baudouin en proposent une saisissante adaptation en bande dessinée.
Annick Cojean est grand reporter. Elle veut interroger, écouter et comprendre. Elle débute son enquête aux États-Unis où 3000 témoignages de survivants viennent d’être enregistrés. Chacun d’eux porte un récit unique et glaçant. Face à la caméra, beaucoup se livrent pour la première fois. Ils livrent un vécu sur le mal dont l’homme est capable aussi inouï qu’effrayant. Un psychiatre ajoute qu’il ne suffit pas de parler pour guérir, hélas, encore faut-il être entendu.
De prime abord, le dessin aux couleurs froides, comme distantes, peut rebuter. Tamia Baudouin ne cherche manifestement pas à séduire. Les personnages sont raides, les décors des cases de grandes dimensions peu travaillés, mais les visages se révèlent expressifs. L’effroi, la solitude, la culpabilité et l’émotion passent. Le dessin laisse toute sa place à la voix des rescapés. Elle ose mettre des images sur des récits abominables. Je n’oublierai pas le témoignage de Bessie, la mère qui perd sa fille ; celui de Nathan, avec, sans avertissement, la balle dans la tête d’une gamine ; ou encore celui d’Abraham qui propose à son petit frère de rejoindre leurs parents, ignorant qu’il le condamne la chambre à gaz. Alors, elle joue avec les images, propose d’audacieuses allégories et métaphores, non pas pour atténuer l’horreur, ni pour nous épargner, mais pour tenter d’approcher de l’indicible.
Dans une seconde partie, Annick Cojean interroge des enfants de survivants, tous portent en eux l’horreur. L’épouvante s’est transmise. Puis, en Allemagne, elle ose interviewer des descendants de bourreaux. Quelques-uns nient, mais la plupart souffrent aussi, différemment. Or, des rencontres entre les deux groupes ont été organisées, et des échanges de pardon naissent une espérance inattendue. Alors que des nationalismes haineux renaissent en Europe, tout n'est peut-être pas perdu.
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il y a 6 jours
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