Une triste fable sur le drame des réfugiés
En octobre dernier, la mort de plus de 300 migrants africains au large de l’île de Lampedusa, au sud de l’Italie, révélait une fois de plus au grand jour le drame de l’immigration clandestine. Chaque jour ou presque, des hommes et des femmes désespérés payent des passeurs au prix fort et risquent leur vie pour forcer les portes de l’eldorado européen ou américain. Dans le superbe album "Les ombres", paru aux éditions Phébus, Vincent Zabus et Hippolyte réveillent nos consciences par rapport au sort terrible de ces réfugiés. Mais ils le font de manière onirique et poétique, en imaginant une fable qui se déroule dans un monde certes imaginaire, mais ayant beaucoup de points communs avec le nôtre. On y suit le récit du numéro 214, un exilé qui a fui le "petit pays", mis à feu et à sang par des cavaliers sanguinaires, pour chercher refuge dans le "grand pays", accompagné de sa petite soeur et de deux autres compagnons d’infortune. Soumis à un véritable interrogatoire, il raconte son histoire à un fonctionnaire chargé de statuer sur sa demande d’asile. Poussé par les "ombres", des fantômes de ses compagnons de route que lui seul peut voir et entendre, il finit par raconter tout son périple. Pour tenter de trouver "le pays du bonheur", il a traversé des forêts, des déserts, des villes et des mers. Et il a croisé des êtres plus effrayants les uns que les autres: un ogre capitaliste, un caïd de la ville, un serpent-passeur, et même des sirènes. Mais comme dans la réalité, ce long voyage ne connaîtra pas forcément une fin heureuse… Au départ, "Les ombres" était une pièce de théâtre, écrite et interprétée par Vincent Zabus. Mais comme il le dit lui-même, cette "aventure forte et complexe" lui a laissé "un goût d’inachevé". C’est pour cette raison qu’il a décidé de la raconter aussi sous forme de bande dessinée. "La BD me donnait l’occasion de tout reprendre, d’aller plus loin. Avec Hippolyte, nous avons tout réinventé", explique le scénariste. "Et, cette fois, l’artiste en moi est heureux, car j’ai le sentiment d’avoir porté au plus haut ce récit. L’homme, lui, reste fâché et impuissant devant les injustices de ce monde". A la fois grave et poétique, le très beau scénario de Zabus est magnifié par le dessin plein de sensibilité et d’émotion d’Hippolyte, qui s’affirme comme un maître des ambiances et des couleurs et qui parvient sans peine à emmener les lecteurs dans son univers entre rêve et réalité. D’un format inhabituellement grand, "Les ombres" est la première BD éditée par Phébus. Bonne nouvelle pour cet éditeur: il s’agit d’emblée d’un coup dans le mille! Alors que l’année se termine, on peut d’ores et déjà dire que "Les ombres" est l’une des toutes belles découvertes BD de 2013.