Les pépites retrouvées de la bande-dessinée érotique

Pour les coquins, mais pas que, pour les amateurs de belles planches, mais pas toujours, la bande dessinée érotique est d’une richesse folle. Elle peut utiliser différents outils, répondre à certains fantasmes, pour se faire l’écho des désirs cachés de ses lecteurs, mais aussi des artistes à l’oeuvre.


Le genre est tentaculaire, protéiforme, mais il est aussi mal connu, réservé à quelques initiés adultes. Bien évidemment, un titre coquin n’aura pas la même publicité qu’une œuvre grand public de Glénat ou Bambou. Certaines publications ont été diffusées sous le manteau. D’autres ont fait le bonheur des kiosques, mais rarement des publications critiques de la bande dessinée.


Alors la promesse de découvrir les « trésors cachés » est excitante, et pas seulement à cause des images coquines qui pourraient alors se dévoiler, mais aussi de celles inédites. Le sujet est confié à Bernard Joubert, qui n’est rien de moins que le spécialiste de la bande dessinée érotique et de la censure, qui a travaillé pour la presse coquine mais a aussi écrit quantité d’articles et de livres autour de la question.


Une pointure donc, qui explique sa démarche dans une enrichissante et amusée préface. Bernard Joubert s’est ainsi donné pour peine de retrouver des inédits qui n’avaient jamais été édités en dehors de leurs uniques parutions en revues spécialisées, qu’il a épluchés à nouveau pour découvrir ces perles. Quelques figures du genre sont donc présentes (Magnus, Erich von Götha, Guido Crepax, etc.), même si leurs histoires ici présentes ne sont pas forcément leurs meilleures, et Bernard Joubert le reconnaît. Ce sont les autres signatures qui formeront les plus belles découvertes, de ces artistes qui ont parfois connu le succès par la suite dans d’autres domaines ou qui seront restés méconnus, malgré leurs qualités évidentes. Une dizaine de pages conclut l’ouvrage, pour présenter la carrière de ces scénaristes et dessinateurs, avec l’érudition, la malice mais aussi les anecdotes personnelles de Bernard Joubert, on en ressort grandi, l’oeil curieux sur Google à découvrir leurs autres travaux.


Ces « trésors cachés » ne se valent pas qu’à cause de leurs natures inédites, bien au contraire, car il en reste bien d’autres jamais réedités mais qui ne méritent pas forcément d’être remis à la lumière. Notre vaillant compilateur a ainsi privilégié de véritables histoires, où les personnages tournent de manière équivoque autour du pot ou cèdent à la luxure, le contenu allant de l’érotisme polisson à une pornographie directe mais toujours exquise. Il ne s’agit ainsi pas tant de reproduire les schémas classiques, comme tant de vidéos porno sur internet, mais de mettre en évidence les segments qui ont voulu proposer leur version du cul, avec leur propre personnalité. Le segment Miracle d’Ignace Noé est frontal, mais se démarque aussi par son histoire de guérisseuse de handicaps par le sexe, assez original. Innocence de Monica et Béa est un troublant récit entre une lolita et son oncle, mais la fin ne finira pas tel que pressenti, la fièvre est coupée nette. C’est d’ailleurs la chute qui permettra d’ajouter un supplément d’âme à beaucoup de ces courts moments, à l’image du Clone de Ricardo Barreiro et Juan Bobillo, et sa conclusion émouvante.


L’éventail de fantasmes proposés reste majoritairement hétéro-centré, mais avec quelques déviances appréciables, tout comme certains passages s’adressent à un public gay ou lesbien. Qu’importe, car chacun peut apprécier le style ou l’esthétique de tel extrait, sans devoir le rattacher à ses préférences. D’ailleurs, comme le rapporte Bernard Joubert dans ses notices biographiques, certains auteurs qui illustraient tels désirs n’avaient pas forcément la même sexualité que leurs personnages. La sexualité ici présente est d’ailleurs assez joyeuse, parfois même délurée, souvent brûlant. L'agression sexuelle, facilité scénaristique du genre, en est quasiment absente, merci. Ajoutons aussi que si l’essentiel des artistes est de sexe masculin, quelques représentantes féminines sont tout de même de la partie fine (Paula Meadows, Laura Scarpa, Roberta Gregory), signalant dans la marge que le cul n’est pas qu’affaire d’homme, et heureusement.


Chacun de ces moments dessinés est donc bien différent, dans le ton, parfois torride, parfois sexy, parfois drôle, parfois cruel, et même parfois un peu de l’un ou l’autre. Cette différence s’explique par le large panel choisi, qui, même s’il est très centré européen des années 1980-1990 et l’âge d’or de la presse X de bande-dessinée (Kiss comix, Blue, Bédé adult’, etc.) , s’autorise quelques écarts, avec quelques représentants étrangers ou plus anciens. Les comix underground américains ont donc leur place, pourtant nulle trace des Dirty Comics. Autres absentes, les bandes dessinées populaires italiennes à l’horizontale à cause des problèmes de remontage que cela aurait impliqué. De même, le Japon est absent, « par manque d’accessibilité », pourtant il y aurait de quoi en remplir plusieurs ouvrages. En dehors de ces quelques manques, l’ouvrage reste le travail de Bernard Joubert, et aussi de ses préférences.


Heureusement pour nous, Monsieur Joubert est un expert, et il a bon goût. Si certaines histoires valent plus pour leur histoire que pour leur dessin (et notamment les plus anciennes, mais au charme désuet et polisson, cf. Mario Janni), certaines au contraire sont d’une excellente facture, et d’autres arrivent même à allier les deux, le fonds et la forme. La peinture charnelle de Noé, l’érotisme au trait souple de Carlo Molinari, le trait granuleux et coquin de Paula Meadows, l’outrance visuelle de John Howard, le récit sur le vif et tracé de Big Ben et son histoire du quotidien, les traits estompés de Richard Moore et son western anthropomorphique surprenant ou le dessin vif et ironique de Giovanni Degli Espositi Venturi, ce recueil démontre toute la vivacité d’un genre où les meilleurs artistes expriment leurs talents.


Précisons-le, cette anthologie est éditée chez Revival, au catalogue fascinant, réeditant des perles à (re)découvrir dans des éditions améliorées, comme l’excellent Cons de fées de Wallace Wood (érotique aussi, mais leur catalogue ne se limite pas qu’à ça). Un signe de plus du sérieux de l’entreprise, sous la supervision de l’expert du genre, Bernard Joubert. Les amateurs de la bande dessinée érotique seront comblés, les autres découvriront peut-être l’étendue des possibles du genre. Un recueil gourmand, mais si jamais il restait d’autres perles sous le coude, et il semble que ce soit le cas, que Bernard Joubert et Revival n’hésitent pas à nous offrir d’autres tomes, merci.

SimplySmackkk
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le 28 juin 2022

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