Les Vacances de Jésus & Bouddha par Ninesisters
Choix assez osé de la part de Kurokawa de publier Les Vacances de Jésus et Bouddha. D’une part car la religion reste un sujet extrêmement sensible, et d’autre part car au premier abord, ce titre recourt à un humour très Japonais, peut-être trop pour le lecteur occidental. Mais ils ont mis le paquet niveau promotion, et ont apparemment réussi à trouver un public avec ce manga. Tant mieux pour eux. Et après ça, aucun éditeur n’osera prétendre que telle ou telle série ne marchera pas en France car trop originale, donc qu’ils ne le publieront pas (à moins d’être de sacrés hypocrites).
Jésus et Bouddha est un manga humoristique jouant sur au moins trois aspects.
Primo, même s’ils veillent sur notre monde depuis des lustres, nos deux loustics ont parfois une vision déformée et lacunaire de la réalité et de la vie quotidienne, ce qui engendre des décalages. Sans compter que lorsqu’ils se lancent dans une de leurs conversations surréalistes, il y a de bonnes chances pour qu’un quidam de passage la comprennent de travers.
Secundo, ce ne sont pas des individus comme les autres. Ils discutent avec les morts et les anges, font des miracles, attirent les animaux comme des aimants – certains vont jusqu’à se mettre d’eux-mêmes dans leurs assiettes quand ils leur arrivent d’avoir faim – bref même quand ils font bien attention à cacher leurs identités, ils ne sont jamais à l’abri d’une catastrophe.
Tertio, les deux amis ont des personnalités diamétralement opposées, ce qui provoque forcément des tensions. Bouddha est un adepte de l’ascète qui gère les finances du duo ; malgré des allures assez austère, il a quelques passions envahissantes, comme la cuisine, les manga, et les animaux enragés. Jésus est plus impulsif, plus dépensier, et se passionne pour les nouvelles technologies et l’écriture de son blog.
Après un petit temps d’adaptation, il s’agit effectivement d’un bon manga comique. Rarement hilarant, une partie des jeux de mots passent probablement à la trappe avec la traduction, mais là où ce manga se démarque, c’est dans ses très nombreuses bonnes idées, issues notamment des religions chrétienne et bouddhiste. L’auteur connait bien son sujet, ce qui lui permet de mettre en scène des situations assez cocasses, même si elles nécessitent aussi quelques connaissances de la part du lecteur ; c’est d’ailleurs un reproche que nous pouvons faire à Kurokawa : si les bases du Christianisme sont plutôt bien partagées en France – enfin, tout est relatif – il n’en va pas de même pour le Bouddhisme, pourtant l’éditeur se fend très rarement d’explications, alors que celles-ci pourraient être pertinentes (notamment sur les disciples de Bouddha).
Reste que ce sont son humour et ses bonnes idées qui font des Vacances de Jésus et Bouddha un titre attachant, même si l’humour en question peut s’avérer spécial. Un petit coup d’œil au premier volume devrait vous permettre de déterminer si vous y êtes sensible ou non.
Ce titre possède tout-de-même un défaut. Un travail de traduction, c’est aussi un travail d’adaptation, et c’est d’autant plus vrai pour un manga, issu d’une culture dont le lecteur français ne connait pas forcément tous les tenants et les aboutissants. Ensuite, il y a plusieurs écoles : laisser tout tel quel et mettre des astérisques ou des numéros renvoyant à des explications, ou tenter tant bien que mal de trouver des équivalents parlant au lectorat cible. Dans le cas de Jésus & Bouddha, manga profondément ancré dans la culture japonaise (plus quelques références au Christianisme), Kurokawa a fait le choix d’une forte adaptation, probablement pour le destiner à un public plus large que celui des habitués du manga. En soi, c’est un choix commercial qui se défend ; mais il n’en reste pas moins frustrant de tomber sur des blagues ou des références qui ne viennent certainement pas de la version japonaise, sans pouvoir savoir à quoi elles ressemblaient à l’origine. A cause de cela, ma lecture n’est pas toujours très agréable. Ce n’est heureusement pas aussi envahissant que dans Princess Jellyfish ou Le Collège Fou Fou Fou, où l’adaptation à outrance atteint parfois des sommets de ridicule ; à se demander si certains manga n’auraient pas tout simplement dû rester au Japon.