Fabrication du consentement

• Alors, mon gars ? On fait des farces ?... Si tu racontais tout à papa Brazil ?


• Il n'y a rien à raconter. Cette banque, je devais la braquer... Je ne peux pas vous expliquer... C'est comme ça. Voilà tout. Vous ne pouvez rien pour moi, commandant.


• Et tu te figures que je vais me contenter d'une réponse pareille ? On fait partie de la même équipe, mon petit. Un clan. Pas question de laisser tomber l'un de nous. Même s'il y a eu un coup de folie. Enfin ! Tu n'avais même pas besoin d'argent, j'ai vérifié... Alors ?... Et ne me dis pas que c'était la mauvaise influence de la télévision !


• Ce... C'était les yeux.


• Les... Les quoi ?


• Les yeux. Les yeux sans visage que j'ai vus à plusieurs reprises. Et il y avait... une sorte de musique... Des yeux bleus, froids... Ils ne cillaient ... Et sans que j'aie rien entendu, ou lu, j'ai su ce que je devais faire : « attaquer la banque, au jour et à l'heure où je l'ai fait... ».

Expérience lancée ! Faites de jolis rêves...

Bruno Brazil tome 3 : "Les yeux sans visage", par William Vance et Michel Greg est un troisième volume faisant suite aux événements du second : "Commando Caïman". Avec cette nouvelle bande dessinée, le récit prend une tournure inédite. Aucune mission dictée par l'organisation la plus secrète de défense internationale : "Services", pour notre espion Bruno Brazil, qui avec son commando Caïman, se retrouve être la cible d'un complot. Une sombre machination visant éliminer les membres de l'unité. Un changement d'atmosphère s'opère en remplaçant le ton "espionnage de guerre explosif" par un "thriller conspirationniste sauce polar". Une intrigue qui joue savamment de son mystère en y ajoutant une enquête Hitchcockienne à laquelle le lecteur se prend. Dès les premières pages on se retrouve plongé dans le vif du sujet. On est interpellé avec un gros point d'interrogation en assistant à un braquage de banque sanglant perpétré par Texas Bronco, du commando Caïman. Mais que se passe-t-il ? Une question à laquelle Brazil compte bien trouver une réponse. Débute une investigation musclée à laquelle se joint un adversaire de l'ombre, qui pratique via un procédé spécifique un lavage de cerveau permettant un contrôle partiel du sélectionné.

Dans Bruno Brazil tome 2 : "Commando Caïman", la menace était déjà similaire avec les émanations des ondes alpha sur le cerveau via les téléviseurs par une série d'images permettant d'influencer le libre arbitre. Un concept qui visiblement intéresse le scénariste Michel Greg, qui remet le couvert. Un sujet en phase avec son époque, où durant les années 70 la fabrication du consentement par la modification cognitive, physiologique ou neurologique, était un sujet qui inquiétait les foules. Une inquiétude qui voit le jour vers les années 1930 avec la montée des régimes totalitaires qui va accréditer l’idée de l’existence de méthodes d’endoctrinement de masse. En 1949, deux universitaires américains, George Sylvester Counts et Nucia Perlmutter Lodge, dénoncent ce procédé dans une étude « Le système soviétique de contrôle mental ». L'expression "brainwashing" voit le jour l'année suivante dans un article du Miami Daily News, traitant de méthodes utilisées par les communistes chinois pour retourner des prisonniers de guerre ou des détenus politiques. Il était signé par Edward Hunter, journaliste qui fut aussi agent de l’OSS puis de la CIA. S'ensuivent à travers les décennies d'autres périodes importantes dans l’histoire de la notion du « contrôle mental »  avec la guerre anti-sectes et autres. Un vaste thème parfaitement adapté pour un récit de contre-espionnage tel que Bruno Brazil.

Un troisième tome dynamique avec son lot de rebondissements. Les confrontations n'ont rien de spectaculaires. La conduite se veut davantage terre à terre. Les phases d'infiltration sont réussies. Gros regret au niveau de la suspension de crédulité. Un illogisme que l'on retrouve tout du long à travers des actions stupides. Une absurdité qui se fait plaisir lors du final. Les personnages agissent si bêtement que la stabilité du récit en prend un coup. Bruno Brazil est charismatique, droit et sérieux. Big Boy Lafayette et Texas Bronco sont, par rapport à l'aventure précédente, un peu plus présent. Gaucho Morales, gère toujours autant le coup (clairement l'élément le plus riche du commando Caïman). Whip Rafale est excellente en apportant un œil victimaire intéressant. Enfin, William Billy Brazil (frère cadet de Bruno), me pose un peu problème. Il ressemble tellement à son frère que des fois je ne sais pas lequel est représenté dans une action. La mise en images de William Vance est très soignée. Il propose de superbes planches avec des couleurs grisonnante, à laquelle s'ajoute une atmosphère humide convaincante. Une sublimation de l'image par l'ambiance et les costumes. Les personnages sont magnifiés. Le trait des visages tient de l'excellence. Certaines planches sont de toutes beauté avec un jeu d'ombres somptueux. En témoigne une illustration remarquable dans laquelle on peut voir un gros plan en noir et blanc de l'antagoniste « Rebelle ». Avec tant de talents, on regrette une difficulté propre au dessinateur, qui a du mal à afficher avec suffisamment de crédibilité le mouvement lors des actions.

CONCLUSION :

Bruno Brazil : "Les yeux sans visage", de William Vance et Michel Greg, est un troisième tome aussi solide que fragile. Une histoire énigmatique conséquente pour une illustration sensationnelle. Malheureusement, si la forme et le fond ont de quoi tenir en haleine, de nombreuses fautes de goût viennent s'ajouter.

C'est bien, mais ça aurait dû être bien mieux.

Allons, bon ! Je vois des mystères partout, moi !