L'Île de Hôzuki
6.2
L'Île de Hôzuki

Manga de Kei Sanbe (2007)

Y’a un truc chez les Japonais, insulairement parlant. Naturellement, la lubie est fatale lorsqu’on trempe sur un archipel. Je les compte plus cependant, ces mangas où pour une raison X ou Y – et parfois Z – un groupement déterminé de protagonistes est cloîtré en exil sur une île au milieu de nulle part. Suicide Island, Battle Royale, Btooom!, j’en passe ; on pourrait se dire qu’à force de concentrer une population de millions d’âmes sur un territoire exigu, le Japon aurait au moins pris la peine d’investir chacune de ses îles, qu’aucune ne se trouva dépeuplée, mais j’imagine que le revirement démographique joua un rôle bien défavorable dans l’affaire.


Tiens, moi aussi je vais introduire ce que j’ai à présenter n’importe comment.


Les dessins sont pas terribles, on déguste ici du Kazuhiro Fujita dont les esquisses s’avèrent dépourvues de ce qui fait la singularité de son trait ; c’est-à-dire des dessins relativement enfantins non pas par style, seulement absence de talent, qui ne véhiculent rien ou peu de chose. Le strict minimum rien que pour vos yeux, sans saveur sans audace, sans intérêt. La devanture donne pas envie, l’arrière-boutique encore moins.


Je vous narre les chroniques d’une île – on n’a pas menti sur le titre – avec, pour seuls habitants, six élèves et quatre professeurs. Personne d’autre. Mais qui finance les infrastructures pour dix personnes ? Ce doit être une ruine à administrer. Ils doivent bien avoir un équivalent de la cour des comptes au Japon, y’a bien quelqu’un qui a dû leur dire que cette île improbable existait. Vous voilà plongé dix pages dans le premier chapitre et déjà, vous trébuchez dans les trous béants laissés par le chantier scénaristique.


Tout nous est présenté à l’emporte-pièce. En deux cases – littéralement – voilà que les protagonistes arrivent sur l’île pour y vivre et aller à l’école. On ne sait pas qui ils sont, ni pourquoi ils viennent ici plutôt que dans une école plus adaptée sur l’archipel ; nous voilà contraints de composer avec un état de fait qui nous est présenté sans fondation aucune et dont nous n’apprendrons jamais rien.

Et la fibre Oliver Twist, on en trouve incrustée tout plein à travers le papier. Nos protagonistes ? Des enfants abandonnés par leurs parents, sans raison avancée là encore, enfants qui plus est laissés à eux-mêmes au point de faire les poubelles – y’a pas de services sociaux au Japon, j’imagine – la sœur aveugle, la camarade rendue muette par traumatisme ; vous aurez compris qu’il y a, derrière ce portrait brossé, comme une tentative outrecuidante de nous extirper de la pitié un couteau sous la gorge. Ce qui, bien évidemment, s’avérera contre-productif au point de nous faire apparaître un ce postulat supposé dramatique comme une farce nanardesque.


L’intrigue ne prend même pas le temps de laisser planer le mystère et, une main campée à l’arrière de notre crâne, nous enfonce le nez dans l’élément litigieux. Paraît que les profs de cette île sont suspects.

Merci, narration bancale, mais j’aurais aimé m’en rendre compte petit à petit plutôt que de le lire dès le premier chapitre depuis la gueule d’un personnage mal écrit.


Rien n’est respecté au niveau du cadre narratif pour faire monter la tension. Ce n’est pas innovant et erratique, non ; c’est inconsistant.


Résumons le présupposé de l’intrigue, les personnages sont sur une île sans que l’on sache pour quelle raison, l’existence même de l’île n’a aucun sens au regard du fait qu’elle ne soit pas habitée, les personnages sont là on ne sait comment ou suite à quel processus, mais nous sommes supposés devoir faire avec.

Qu’on ne se méprenne pas, je ne dis pas que la narration cultive le mystère quant à ces éléments susmentionnés ; ils ne sont tout simplement pas présents dans l’intrigue, et ne le seront jamais. C’est un oubli manifeste, une rature de tous les instants, et c’est de ça dont est apparemment fait ce manga.


Trois chapitres, c’est ce qu’il aura fallu avant qu’un des profs en présence ne cherche à violer une élève. Lesson of Evil n’avait pas fait mieux. C’est fou ce que le génie littéraire et l’audace sont endémiques chez les auteurs dépourvus d’idées.


Ce serait céder à la facilité que de prétendre y voir un ersatz de Battle Royale du fait du cadre insulaire et d’un risque de mort omniprésent. À la place, on pourrait plutôt y voir, entre les malfaçons, le prototype de The Promised Neverland. Des orphelins réunis dans un milieu cloîtré et coupé du monde extérieur, luttant pour leur survie. Je doute cependant que Posuka Demizu s’en doit inspiré. Car outre le synopsis déjà mal branlé d’Hozuki no Shima, il n’y a strictement aucune matière à exploiter. Il ne reste aux lecteurs qu’à subir quatre tomes d’une histoire partie de nulle part pour tourner sur elle-même.


Pourquoi se passe-t-il ce qu’il s’y passe sur l’île d’Hozuki ? Parce que cela se passe, et voilà tout. La structure même du récit est mitée depuis ses fondations, Kei Sanbe navigue à vue en agitant pinceaux et crayons dans tous les sens et s’imaginant que cela permet de le rendre démiurge d’une œuvre consistante. Hozuki no Shima n’est pas mal écrit, il n’est pas écrit ; on ne sait pas où son auteur veut en venir où même s’il souhaite en venir où que ce siut d’ailleurs. L’histoire, insipide et convenue, sans avoir été introduite convenablement, perpétue une dégringolade incohérente de quatre volumes et nous entraîne avec elle.


Vous n’avez pas idée à quel point il est éprouvant pour les nerfs de s’imposer une œuvre qui ne présente, à aucun instant donné, une motivation à ses personnages ou bien à ce qui aura impulsé l’intrigue. En ce sens – et en ce sens seulement – Hozuki no Shima est une expérience innovante. Malgré elle, toutefois. Malgré nous aussi, malheureusement. Car on ne ressort jamais enrichi en une quelconque manière de ce qui nous accable tout du long de cette histoire à dormir debout. Histoire qui n’en est alors pas une dès lors où elle n’est même pas cadrée convenablement sur le plan narratif.


Un premier chapitre, c’est en principe l’occasion de présenter les enjeux de sa composition, de déterminer un cap, de le suivre, et possiblement en dévier si la nécessité se présente. Mais ce premier chapitre, catastrophique dès lors où rien n’a été présenté ou expliqué, nous traîne ensuite le long d’une trame qui, par extension, ne fait pas plus de sens que ce qui l’a initié. Lisez ce premier chapitre pour comprendre ce que j’entends ; rien n’a été façonné convenablement ; c'est un cas d'école.


Si en plus il n’y a pas un personnage élaboré un tant soit peu avec, en prime, la présence d’un antagoniste si cruel qu’il sourit sans cesse de toutes ses dents en fronçant les sourcils, le séjour est une torture à chaque page qui vient.

Et en conclusion – car fallait bien que ça s’arrête – on a droit à un chapitre explicatif écrit sans conviction à base de « Oui, mais en fait, y’avait un malentendu, je vais vous faire une révélation pour vous aider à voir les événements sous un jour nouveau ». Et une fois éclairé par ce faisceau récent… rien ne fait sens. C’est même encore moins crédible qu’avant, si tant est que cela fut seulement possible.


Je ne sais pas avec quelle idée en tête l’auteur a pu nous faire parvenir un manga pareil. Je ne sais même pas si, d’idée, il en avait ne serait-ce qu’une bribe en tête au moment de poser la plume sur le papier. Le fait est qu’il a effectivement composé Hozuki no Shima, sans que jamais rien n’ait de sens ou de cohérence. C’est une lecture dont je ressors perplexe tant je suis obsédé par l’absence de logique et d’intérêt de ce qui nous a été présenté. Perplexe, et navré.

Josselin-B
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le 10 nov. 2024

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Josselin Bigaut

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