J’ai découvert le travail de François Boucq à travers ma lecture de « Bouncer ». Ce western scénarisé par Alexandro Jodorowsky est sublimé par le trait de ce dessinateur remarquable. Ses planches intensifiaient l’atmosphère oppressante, malsaine et rude qui enveloppé le quotidien du héros. J’ai donc logiquement été attiré par la couverture d’un album intitulé « Little Tulip ». J’ai reconnu immédiatement son style si personnel. Ce torse nu et sec seulement habité par un tatouage qui interroge. Cet ouvrage édité dans la collection Signé chez Le Lombard attisait ma curiosité. En le feuilletant, je me suis fait happer par l’ambiance que dégageait la lecture. Je décidai donc logiquement de me l’offrir pour le savourer pleinement à la maison.
La quatrième de couverture propose la mise en bouche suivante : « Emprisonné en même temps que ses parents, c’est à l’âge de sept ans que Pavel découvre l’enfer du goulag. Séparé des siens, il doit apprendre seul les règles qui régissent son nouvel univers : la violence permanente et la toute-puissance des chefs de gang. Avec les années, Pavel devient peu à peu un combattant redoutable. Mais c’est son talent pour le dessin qui fera de lui une légende. »
La narration s’inscrit dans deux époques différentes. Elle oscille constamment entre le passé et le présent de Pavel. La répartition entre ces deux temps n’est pas équivalente tant les jeunes années du héros prennent possession de l’histoire. Elles ne quittent jamais d’être centrales même lorsque les pages nous ramènent dans le quotidien d’un Pavel adulte. Cette immersion sensorielle de son adolescence est une des grandes réussites de cet album tant elle ne laisse indemne personne : ni Pavel ni le lecteur.
Le premier contact avec Pavel est original : il se tatoue lui-même. Cela laisse supposer que son rapport à la douleur n’est pas le même que le commun des mortels. Quelques pages plus tard, il agresse telle une bête féroce trois personnes venus le menacer. Son arme est un simple un crayon à papier. La dixième page est à peine terminée qu’une chose est déjà certaine : Pavel inquiète et fait peur. Le fait de le voir travailler comme portraitiste pour la police ou de le voir admirer des toiles de grands maîtres dans un musée complexifie encore le rapport entre le lecteur et le héros. Les zones d’ombre sont nombreuses. Son passé les éclaircira en partie.
Les origines de la violence habitant Pavel naissent dans les goulags. C’est ici que se déroule l’essentiel de la trame de cet album. Le travail graphique est remarquable pour faire transpirer des planches la violence et l’horreur qui habitaient ces lieux. La découverte est oppressante. Elle habite la lecture d’un intense mal être. Les auteurs utilisent remarquablement leurs talents respectifs pour solliciter avec une grande intensité les émotions du lecteur. La sauvagerie qui régule ce lieu existe à chaque moment et dans chaque personnage. L’homme semble ramener à l’état d’animal qui lutte constamment pour sa survie en alternance acte de soumission et de domination. Le parcours de Pavel montre bien les codes de cet univers inhumain. Telle une bête traquée, il est en permanence sur le qui-vive. Le lecteur non plus n’est jamais totalement apaisé. Il vit un partage sensoriel fort avec le héros.
A toute la souffrance du quotidien de ce jeune russe, les auteurs ajoutent une pincée mystique. A la manière de certaines scènes de « Bouncer », autre série dessinée par Boucq, une forme de chamanisme enveloppe les événements. Cet aspect du scénario complète parfaitement la « magie » qui semble envouter les tatouages de tous ces prisonniers. C’est d’ailleurs par son don pour le dessin que Pavel survivra. Cet art est le lien qui assemble toutes les pièces du puzzle dense qu’est cet album. Je trouve que la manière avec laquelle les auteurs font naître et perdurer l’attachement viscéral du héros à sa passion et son talent est touchante. Le crayon est son arme dans tous les sens du terme.
Pour conclure, « Little Tulip » est une belle réussite. J’en conseille vivement la lecture. L’histoire ne souffre d’aucun temps et se construit en mélangeant une grande variété d’ingrédients. La personnalité complexe du héros est un modèle du genre. Les illustrations et le scénario se subliment mutuellement. Bref, il ne faut pas hésiter à partir à la rencontre de Pavel. Ce dernier ne nous laissera pas indifférent…