Les Etats d'âme d'un tueur à gages
De code 47 du jeu Hitman, à Jean Benguigui de Buffet froid, je n'ai pas souvenir d'un personnage de tueur à gages dont les motivations et les états d'âmes aient été à ce point explicités.
En général on ne sait à peu près rien d'un tueur à gages, coquille vide suivant froidement l'itinéraire où le mènent ses contrats (l'exemple le plus frappant étant pour moi celui de Jef Costello du Samouraï de Melville). Et c'est peut-être ce mystère et cette inconnue qui rendent ce type de personnages fascinants, à vouloir forcément l'expliquer, ne prend-on pas le risque d'être un peu oiseux ?
Dans cette BD, c'est l'attente interminable de sa victime qui pousse le tueur à se lancer dans l'introspection, après plusieurs jours à guetter un appartement parisien cossus, il se lance dans des divagations solitaires, approche parfois la folie, et se rappelle comment il a pu en arriver là via flashbacks.
D'abord le tueur en question, est un monsieur tout le monde, pas franchement charismatique, un rouquin assez vilain, chétif, ce qui contraste avec l'imagerie classique du tueur.
Il est aussi nihiliste/anarchiste, il veut à tout prix s'échapper d'une société composée d'humains regroupés en masse, froids, sans vie, formatés, contrôlés, comme les fourmis de Godfrey Reggio de Koyaanisqatsi, et qui s'amoncellent sans but, sans cause, à heure fixe (le point fort de la bd).
Mais de fait, notre héros est terriblement solitaire, et finalement, au frontières de la folie et du délire, se fantasme comme seuls amis et compagnons, les cadavres qu'il a laissés sur son chemin, dont il connait les vies par coeur (il étudie chacune de ses victimes avant de les supprimer).
Le récit enchaîne donc avec des flashbacks, ses débuts dans l'assassinat (peu crédibles), ses ratés, ses réussites.
Le but du héros est de faire suffisamment de fric pour pouvoir s'exiler quelque part au Venezuela, dans un coin où l'on ne pose pas de questions, et où il pourrait vivre en marge de toute société, indépendant et libre.
On n'évite cependant pas certains gros poncifs vus et revus (ni le point godwin). Le tueur se justifie par le fait que le monde entier a du sang sur les mains, et aligne les clichés un peu lourds du style :
- L'expérience Milgram
- Les Nazis
- Les enfants qui font des chaussures nike
- Les cowboy et les indiens
- Les milices africaines et leurs armes européennes
- Les espagnols et les aztèques
- Les chinois et les tibétains
- Les Aborigènes/la traite des noirs et compagnie...
Après le style est quand même hyper classieux, le découpage est intelligent, original, même cinématographique.
Et puis l'épisode retombe sur ses pattes avec une apothéose finale virant à la boucherie.
Dessin superbe, tons sombres, travail magnifique sur les lumières, et sur les ombres portées par les stores et volets en tout genre comme dans les mythiques films noirs. Et la promesse d'une aventure intéressante et dépaysante avec le rebondissement final du premier épisode.