La trilogie africaine s'achève comme elle avait commencé,
dans les flammes de la manipulation politique.
Les Corruptibles s'affirme finalement autour du mal qui a longtemps rongé les démocraties africaines post-coloniales, qui en ronge de nombreuses encore : l'appât du pouvoir et de ses riches attraits occultes. Au coeur d'un Bangali imaginaire, l'auteur Alain Brézault a construit l'enquête complexe de l'inspecteur Yapo derrière les magouilles et les manipulations d'un gouvernement corrompu jusqu'à la moelle, et son complice Jean-Denis Pendanx a su dédramatiser le propos avec l'affection d'un créateur pour ses personnages damnés, tout en couleurs et chaleur. Jouant le contraste pour dire la passion de la vie et de la vérité face aux rouages imperturbables de la machine.
Niveau scénario, le ton idéal du second tome est repris autour du duo principal, et l'auteur, après le sac d'embrouilles qu'il s'est amusé à démêler là, termine en beauté sur la fermeture tragique du cercle narratif : d'une explosion à l'autre, ceux qui tirent les ficelles du pouvoir,
ceux qui manipulent ne changent pas leurs méthodes.
Ce que Les Corruptibles nous raconte ainsi, ce sont les fondements inébranlables de systèmes élitistes s'accaparant les richesses étatiques à leurs propres comptes sans aucun regard pour la destination populaire initiale de ces fonds. Le tableau africain, une fois encore, porte sur le cliché mais celui-ci fait moins rire. Est-ce la nature de l'homme, quel qu'il soit, que de viser la démesure au mépris de son humanité ? Cupidité ? Soif de pouvoir ? Est-ce que ces systèmes existent et perdurent d'eux-mêmes ? Quelle est la part coupable de nos colonisations passées et de ces accords tacites, industriels et libéraux, dans
le maintien de la corruption au pouvoir d'une Afrique où la pauvreté ne semble jamais pouvoir se résorber malgré les richesses naturelles du continent ?
Loin de creuser aussi loin, la trilogie se contente de survoler quelques Loopings au-dessus de l'ambiance et d'y faire exploser quelques feus de joie autant que de désespoir, d'illustrer à travers l'enquête impuissante de l'inspecteur Yapo et de son adjoint Shérif, les innombrables poudrières toujours en place à travers le continent.
Le dessin de Jean-Denis Pendanx, sans jamais se montrer novateur, reste appliqué : trait vif, minutie des ambiances, reliefs d'ombres et de couleurs, les caricatures assument les caractères et le voyage, même s'il continue d'égrainer quelques clichés éculés, devient presque palpitant sur la fin, notamment grâce au sens du détail dans le montage de l'action que le dessinateur développe séquence après séquence. Graphiquement, sans être extraordinaire, loin de là même, Les Corruptibles séduit, se laisse lire un peu plus que juste agréablement. Il y transparaît
une belle tendresse pour les héros autant que pour les anonymes, réels,
qui survivent au jour le jour à ces situations pesantes de misère et de foi désabusée.
Au final, la trilogie africaine cercle son propos, invite à s'interroger sur l'histoire des relations entre
anciennes puissances coloniales et démocraties corrompues du continent, sur les politiques actuelles, tout autant que sur la nature humaine face aux attraits égoïstes de pouvoirs auxquels on ne peut nier de prestiges. Le choix d'un état imaginaire vient renforcer l'idée de cette
corruption pandémique, connue de toutes et tous, mais indétrônable,
indéboulonnable.
Et de ce qu'elle s'accompagne de folies des grandeurs meurtrières.
Explosives.
Irrémédiablement.