Jirô et Kyôko s’aiment, c’est indéniable. C’est le coup de foudre, ils vivent une histoire d’amour passionnée et enflammée. Allant à contre-courant des moeurs de l’époque ils décident précipitamment d’habiter ensemble. Mais la réalité de la vie va rapidement les rattraper et de nombreuses épreuves vont éprouver leurs couples.
Le postulat de départ peut prêter à sourire de nos jours, vivre sans être marié ou être célibataire sont acceptés dans la société actuelle. Dans les années 70 vivre en couple hors mariage était une aberration, l’important c’était d’avoir un mari avant ses 25 ans et faire des enfants. L’amour n’est pas le critère premier, l’important c’est de respecter les conventions sociales et obéir à l’autorité parentale.
Notre couple prend la décision unanime de choisir l’amour, quitte à enfreindre la préposée tradition sociale. Le choix d’habiter sans être marié n’est pas anodin, ils doivent mentir à leur propriétaire, cacher leur relation à des amis, et surtout ne plus rien dire à leur famille. La pression du « qu'en-dira-t-on» est forte, chaque acte doit être mesuré et vaut mieux éviter de se faire remarquer.
Ils vivent en partie dans la peur d’être découvert et se retrouver à la rue. La culpabilité de ne pas être dans le moule, chaque rencontre leur rappellera qu’il est anormal de vivre dans une union libre et que le mariage est une obligation. L’obligation de se plier aux règles de vie imposées par les adultes.
La précipitation de se mettre en ménage ne leur a pas permis de vraiment se connaître et certaines réactions sont incomprises. Ils se blessent mutuellement avec des disputes sans importance, et se questionnent sur l’amour avec un grand A. Ils apprennent à vivre ensemble découvrant leurs caractères respectifs souvent dans l’incompréhension.
Encore jeunes, ils sont sans sous et vivent dans un minuscule appartement, bien trop petit pour avoir son espace personnel. Le travail sera un sujet problématique, certaines dates anniversaires seront annulées à cause d’un patron qui invite ses employés le soir ou d’un travail en retard. Ces évènements rajouteront des doutes sur leur couple, mais ils n’hésiteront pas à quitter un boulot pour vivre leur amour dans une certaines insouciance de la réalité.
Au fur et à mesure des jours, les anxiétés se cumulent et font vaciller la flamme de nos amoureux. Leurs choix seront souvent remis en question, pourtant Jirô et Kyôko s’aiment, et ils en sont convaincus, leur amour est passionnel, à la fois éphémère et éternel… Kyôko sera pourtant en proie au doute face à la demande en mariage d’une autre personne, choix difficile entre la maturité sans amour ou l’immaturité passionnée. Jirô devra résister à la tentation d’autres femmes. Mais toutes ses épreuves les reprochent toujours plus, mais les fragilisent énormément.
Kyôko et Jirô découvrent leurs relations au fil du temps, de leurs rencontres, de leurs humeurs, de leurs émotions. Ils se séparent pour mieux s’éloigner, pour mieux se rapprocher, pour mieux s’aimer, pour mieux se détester. Ils fermeront les yeux face à leurs inquiétudes et se perdront l’ivresse de leurs corps. L’amour et le sexe sont deux composantes indissociables de leur vie, mais quand est-ce de l’amour? quand est-ce du sexe? Eux-même ne le savent pas et cette frontière fine sera sujet à d’autres questionnements. N’est-ce pas un moyen pour eux de fuir la réalité dans leurs étreintes?
Le lecteur sera absorbé par l’amour passionnel que KAMIMURA réussi avec brio à décrire, chaque sentiment est ressenti au moment de la lecture. Jusqu’où leur couple pourra tenir ? vont t’ils pouvoir faire face à la vie et vivre leur amour longtemps ?. La psychologie des personnages est travaillée à l’extrême et l’auteur usera d’allégories, métaphores, symboliques, comparaisons, poésies que ce soit textuels et imagés. L’auteur réussit à rendre ses personnages vivants et nous faire ressentir la joie comme la douleur.
Il apportera de nombreuses réflexions dans son récit : la vie hors des règles de société, vivre en couple, la recherche du bonheur, l’amour éphémère, être une femme, un couple ou encore qu’elle aspiration pour l’avenir. La définition de l’amour, son but, sa raison, le chemin du bonheur seront d’autres thèmes importants. L’oeuvre peut être réfléchie à un niveau plus social, se posant ainsi des questions sur les difficultés rencontrées d’un jeune couple, l’envie de briser les interdits, le besoin de se sentir vivre, survivre dans une société codifiée, ce titre ne manquera pas de sujet à débattre.
L’histoire de nos deux amoureux sera découpée en plusieurs phases. La vie en concubinage, l’épreuve d’un drame et la reconstruction de leur couple. Les sujets abordés seront difficiles et parfois tragiques. L’amour selon KAMIMURA est beau, magnifique et intense, mais il se veut aussi douloureux, triste et déprimant. Deux visions qui se s’opposent mais c’est le revers de la médaille pour vivre une histoire d’amour fusionnelle. Kyôko ira jusqu’à proposer plusieurs fois à Jirô de se suicider pour être éternellement avec lui.
L’oeuvre se veut belle et noire à la fois, passant du rire aux larmes, le lecteur se retrouvera dans la même situation que nous tourtereaux. La joie est d’un blanc immaculé, le malheur est d’un noir profond. Les âmes les plus sensibles seront retournées par certains chapitres, car l’auteur réussit à changer d’état en quelques cases et inverser immédiatement l’ambiance d’une histoire. C’est une véritable claque sensorielle et visuelle.
Chaque chapitre est une nouvelle situation, ils sont généralement indépendants mais suivent un ordre chronologique. L’évolution de nos protagonistes se fait au fil des saisons. Ces situations de tous les jours sont racontées avec une telle finesse que cela en devient envoutant. Le récit demande de le lire à un rythme assez lent pour le savourer.
L’histoire est plus visuelle que textuelle, d’ailleurs l’œuvre se lit assez rapidement, mais l’auteur excelle en narration graphique est réussi à transmettre du mouvement ou des paroles avec des images fixes. Il alterne les plans et la taille des cases pour varier l’émotion et contrôle parfaitement le dérouler de son histoire. C’est le point le plus important de ce titre, sans ce travail de mise en page et le génie de l’auteur pour reconstituer les émotions, ce manga n’aurait pas atteint son statut culte et indispensable.
Peu de reproches sont à signaler, hormis une petite lenteur dans le dernier volume avant la conclusion finale ou l’utilisation de symbolique parfois difficile à comprendre dans certains chapitres.
Dessin :
Le trait de KAMIMURA est magnifique, son style est simple, épuré, proche des étampes d’autrefois. Le dessin est intemporel et même de nos jours celui-ci n’est pas comparable à la production actuelle. Rapidement le lecteur entre sous le charme des paysages, des personnages et de l’ambiance qui en résulte. L’utilisation de symbolique caché avec des animaux et des fleurs permet de donner ce charme, cette finesse et cette poésie propre au mangaka. Comme dit plus haut il excelle dans la narration graphique, une véritable œuvre lyrique.
Édition :
Les éditions Kana ont publié dans une complication de 3 tomes les 2100 pages que constitue le manga. Répartis en 3 « pavés » de 700 pages, en grand format (env. 21x15cm) avec une jaquette amovible. Ce format épais mais économique nous permet de profiter de l’oeuvre pour un « faible » coût. La manipulation de « pavés » n’est jamais aisés, mais ils restent souples et étonnamment moins difficiles à lire que d’autres titres dans le même format. Le papier est de bonne qualité, bien qu’il manque un peu d’épaisseur. L’œuvre est accompagnée d’un texte de la fille de l’auteur et de Jirô TANIGUCHI qui avait été son assistant. Les onomatopées originales sont présentes, Kana a réalisé une belle adaptation.
Conclusion :
KAMIMURA nous livre ici une histoire d’amour passionnément intense, belle, poétique mais ancrée dans une réalité difficile de son époque. Véritable ode a la jeunesse, ainsi qu’à l’amour passionné et tragique, cette œuvre est un indispensable et sera émouvoir le coeur de nombreuses personnes.