Un titre jeunesse à la frontière des âges

Chronique tardive, mais pour un titre marquant. Ce "Louis parmi les spectres" de Fanny Britt et Isabelle Arsenault fut l’un des très beaux volumes de la fin 2016. Étiqueté "jeunesse" - à partir de 9 ans - par son éditeur canadien, La Pastèque, il s’inscrit donc dans notre nouvelle rubrique inaugurée cette année. Bien qu’à notre sens il s’adresse davantage aux parents qu’aux enfants.


Ça commence comme ça : "Je veux dire : mon père pleure". Énoncé par Louis, petit garçon de 11 ans, qui revient, avec son petit frère, d’un week-end chez son père, séparé de leur mère donc. Un père qui ne s’en remet pas, visiblement, répandant en larmes tout ce qu’il ingère en bière, à l’épanchement aussi facile que la descente.


Ça commence donc fort, et l’on saisit d’emblée que Louis parmi les spectres compte s’atteler à des problématiques assez sérieuses, voire lourdes. La séparation parentale, les angoisses maternelles, la dérive paternelle, et au milieu, des enfants qui tentent de grandir, notamment Louis, qui s’amourache d’une camarade farouchement indépendante et qui cherchera, tout le volume durant, comment lui déclarer ses sentiments.


N’ergotons pas davantage : l’ouvrage de Fanny Britt et Isabelle Arsenault constitue une véritable merveille, autant narrative que graphique. La façon d’aborder les thématiques et enjeux du récit s’avère remarquable et le dessin se révèle le parfait véhicule des émotions suscitées. Tout y est beau et surtout d’une formidable justesse. Mais difficile d’imaginer que cela puisse être lu par un enfant de 9 ans, ou même de 11 ans, l’âge du héros.


Alors oui, le fait que le personnage principal soit un enfant pourrait inscrire l’ouvrage dans la tranche d’âge concernée, par un jeu d’identification. Certes le dessin, par son style et par sa composition, s’apparente peut-être davantage à l’illustration qu’à la stricte bande dessinée, se rattachant par là encore aux codes de la littérature jeunesse.


Mais il y a là quelque chose qui pour nous relève en quelque sorte du faux-semblant : si Louis parmi les spectres adopte véritablement l’aspect du titre jeunesse, ce qu’il raconte, et la manière qu’il aura de toucher son lecteur, ne s’adressent pas tant à l’enfant qu’à l’adulte - ou, à la rigueur, à l’adolescent, mais un adolescent déjà mature et assez sensible.


Pour le dire simplement, l’ouvrage donne le sentiment qu’il sera acheté par des parents qui se donneront l’illusion d’offrir à leurs enfants - ou petits enfants - un titre de qualité, mais qui leur parle d’abord à eux avant de parler au public cible. Comme une sorte d’idéal de la BD jeunesse déconnectée de son lectorat réel. D’ailleurs, son prix même semble le ranger du côté des beaux livres, de ceux qu’on ne laisse guère entre les mains des petits.


Reste que considéré pour ce qu’il nous semble être véritablement, soit un titre sur l’enfance, sur un de ses moments charnière qu’est l’éveil aux sentiments amoureux, et sur cette expérience compliquée qu’est la prise de conscience de la complexité des relations qu’entretiennent les parents entre eux, considéré donc dans cette perspective-ci, Louis parmi les spectres constitue un titre des plus marquants, aussi sensé que sensible.


Alors, au final, nul besoin de l’excuse des enfants, qu’il s’agisse des siens ou de ceux du voisin, nul besoin d’un petit neveu à gâter : Louis parmi les spectres s’adresse aux grands qui y trouveront une émouvante expérience de lecture. Et si des enfants ou des adolescents, au passage, s’en saisissent et en retirent quelque chose, tant mieux : veillez sur eux, car il s’agira sans nul doute de belles personnes.


Chronique originale et illustrée sur ActuaBD.com

seleniel
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le 7 févr. 2017

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