Figure à part du comics indépendant, Madman, revenant superhéroïque et philosophique, est la création iconique de Michael (Mike) Allred, assisté de sa femme Laura aux pétulantes couleurs, qu’il met en scène depuis 1990 dans différentes mini-séries.


En France, si nous avons pu bénéficier de quelques uns des travaux de Mike, tels que l’excellente série X-Force/X-Statix (enfin réeditée en 2023) ou son Bowie, son Madman restait une figure méconnue, publiée à la marge. Il est apparu dans quelques numéros un peu méta, rendant hommage à la popularité de la bande dessinée indépendante, tels que le Gen 13 numéro 13 de Jim Lee, le numéro 4 de Powers de Brian Michael Bendis, le soixantième numéro d’Invincible de Robert Kirkman ou la récente série Crossovers par Donny Coates. Rien d’étonnant aussi à ce que Kevin Smith, grand fan de comics, l’intègre de manière plus discrète à ses films Dogma ou Chasing Amy. Madman est une figure, une icône, rien d’étonnant donc à ce que certains créateurs veulent lui rendre hommage, et ce n’est qu’une partie de ses apparitions, bien d’autres existent et sont restées inédites sur le marché français.


Son crossover avec Superman (Superman & Madman : Hullabaloo !) eut tout de même la chance d’être publié chez nous en 2008 mais par le petit éditeur Wetta.


Il était donc difficile d’approcher le « mythe (bien malgré lui) » en dehors des quelques collaborations arrivées jusqu’à nos terres, jusqu’à ce que le courageux Huginn & Muninn se décide à se relever les manches et à proposer une intégrale annoncée en 12 volumes (!). Un défi éditorial à remercier, d’autant que la rencontre un peu intimidante avec cette icône tant célébrée ne se révèle pas décevante, bien au contraire.


Sur plus de 300 pages (un beau bébé), Madman fait ses premiers pas, et se construit rapidement. Sans aller dans le détail des 9 épisodes proposés, dont le sémillant « Changer de disque », bien différent de la suite, définir Madman en quelques lignes reste une gageure. En effet, la création des Allred mêle super-héros, aventures rétro, spleen existentiel et autres ingrédients qui pourraient se glisser à l’épisode.


Madman ou Frank Einstein, est ainsi un mort revenu à la vie par un savant un peu fou et qui n’a gardé aucun souvenir de sa vie passée. Madman est une page blanche, un adulte au coeur d’enfant, à la naïveté fondamentale mais parcouru par d’innombrables questions philosophiques sur le but de l’existence ou sur son identité. Entouré par une galerie d’alliés qui ne cesse de s’enrichir au fil des épisodes, Frank observe le monde avec une certaine candeur et une pudeur qui surprennent les nouveaux arrivants. Mais c’est aussi son humanité qui en fait sa force, notamment auprès de sa petite amie, Jo, qui l’aime pour qui il est.


Madman peut bien affronter quelques vilains gangsters de pacotille, aller sur les pistes d’un extra-terrestre devenu offrande vivante d’un peuple ou se dépêtrer de beatniks mutants, il n’a rien du super-héros classique. Il est athlétique, possède quelques pouvoirs psychiques, mais la violence n’est jamais la seule solution, ce n’est qu’une des options parmi d’autres telles que le soutien de ses amis ou une certaine ingéniosité. Frank Einstein aspire même à une vie plus classique, plus naturelle, quoi que ça puisse être. Mais il ne se défait pas des obligations qui lui tombent dessus.


Si ses aventures peuvent faire sembler à quelques vieux récits de comic-books des années 1950-1960, une fois réduites les grandes lignes à un squelette un peu branlant, le ton très moderne et très humain de la série le rapproche d’une certaine vague de comédie des années 1980 et 1990, basée sur les personnages, comme a pu s’y rattacher Kevin Smith. Et si la figure de Madman fait encore sensation aujourd’hui, il faut aussi imaginer le choc dans les années 1990, où le marché était alors, suite au succès de Watchmen d’Alan Moore ou de Dark Knight Returns de Frank Miller, en proie à un certain cynisme et à une surenchère dans la violence.


Madman ne pouvait alors exister en dehors de la scène indépendante, à l’image de son illustration, complètement à contre-courant, qui reprend un certain graphisme old-school mais en le modernisant. Le ton est trouvé au bout de quelques épisodes, avec la série Madman Adventures, au style comic très appuyé, à l’encrage marqué. Les cases sont alors comme figées, mais jamais plates ou statiques, comme des instantanés de séquences de dialogues ou d’action, au cerveau humain de faire la transition. Les personnages sont tout de suite reconnaissables, comme gravés dans la page, d’autant que Michael Allred est très fort pour les identifier en quelques traits sur le visage.


Et il y a bien évidemment la colorisation de Laura Allred, très pop, aux couleurs franches, mais qui participent à la composition des pages de son mari et qui leur permettent de sauter directement au regard. Une esthétique presque acidulée, qui remet de la couleur dans une décennie de comics qui se prend alors bien trop au sérieux, mais qui reste un leurre. S’il y a une certaine joie de vivre, une évidente innocence, il en reste aussi toute la mélancolie de son personnage principal, à la fois ingénu et tourmenté. Michael Allred a d’ailleurs un évident talent pour les dialogues, qui construit véritablement les relations de ses nombreux personnages.


Une œuvre donc généreuse, faussement classique, qui déborde d’idées et de personnages, dont Frank reste au centre mais n’est pas le messie musclé et sauveur habituel. Madman est donc bien cette série à part, à la fois proche mais si différente, grâce à l’imagination et aux talents des époux Allred. On comprend mieux la figure qu’il peut représenter pour d’autres créateurs, de par sa personnalité évidente, sa douce folie, et d’ailleurs ce premier tome comprend aussi quelques illustrations de grands artistes qui lui rendent hommage : Frank Miller, Moebius, Frank Frazzetta, et bien d’autres.


Le public français peut maintenant enfin découvrir cette œuvre, n’ayons pas peur des mots, culte, dans une édition de qualité. Un regain d’intérêt qui se propage chez d’autres éditeurs : Panini Comics a ainsi réedité ces derniers mois les séries cultes d’Allred chez Marvel : X-Force/X-Statix/X-Cellent avec Peter Milligan et sa saga du Surfeur d’argent écrite par Dan Slott. Le marché français (et espérons-le le public) (re)découvre Mike Allred, il était temps.

SimplySmackkk
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le 28 févr. 2023

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