- Ah, te voilà ! Comment ça s'est passé ?
- Bien failli y rester !
- Tu veux dire que j'ai failli te perdre pour de bon ? N'oublions pas à qui ta tête appartient ! Où veux-tu en venir ?
- Je me disais que peut-être que je pourrais avoir quelques dollars, étant donné que c'est moi qui prends tous les risques...
- Tu veux de l'argent ? Essais-tu de tirer profit de moi, negro ?
- Non, Maître Brice. C'était juste pour discuter.
Avec Marshal Bass tome 7 : « Maître Bryce », le scénariste Darko Macan propose au lecteur une plongée dans le temps pour découvrir le passé mystérieux de "River Bass". Une étape obligée pour cette bande dessinée illustrant un far west décidément passionnant à suivre avec sa proposition toujours plus intimiste autour de son personnage principal qui gravite dans une sphère amère et impitoyable. Le récit s'ouvre sur Dryheave, Arizona, fin août 1877, lors d'un repas de famille tendu après les terribles évènements survenus dans le tome 6 : « Los Lobos ». Un barbecue familial ayant pour but de resserrer les liens entre les membres de la fratrie. Un repas chrétien auquel est convié Moïse Washington, alias "Beef", que l'on a déjà pu voir dans le tome 1 : « Black & White » et le tome 5 : « Yuma », ainsi que le révérend Dollar, qui s'empiffre avec appétence. Un instant de convivialité paisible offrant un petit moment de répit jusqu'à l'intervention du révérend :
- D'ailleurs, je voulais vous poser une question Marshal ! River, ce n'est pas votre nom de baptême, ça ?
- C'est mon nom.
- Et bonne chance pour lui arracher des détails.
- Oh ! Vous avez piqué ma curiosité ! Racontez-nous, Marshal... Pourquoi vous appelle-t-on "River" ?
Une question innocente qui nous projette l'instant d'après sur une double page fabuleuse signée Igor Kordey appuyée par les couleurs nocturnes de Nikola Vitkovic, servant d'introduction au passif de River, dans la plantation de la Bonté, Alabama, en été 1854. L'aventure peut commencer !
Macan conte avec intelligence une histoire qui échappe au manichéisme de la bien-pensance en démontrant le racisme et l'esclavage sans le moindre jugement de valeur, faisant le simple étalage d'une perversion morale à une époque où le mot "innocence" avait une tout autre symbolique. La cruauté, l'amour, la malveillance, la bienveillance, le racisme, aucun de ces qualificatifs n'est l'apanage d'une catégorie humaine en particulier, tous étant capables du meilleur comme du pire. Une caricature d'étiquettes qu'esquive adroitement le scénariste depuis le premier tome de sa franchise et qu'il continue de développer savamment avec ce septième volume dans lequel on retrouve Bass adolescent. Lors d'une nuit alors que la plantation de la Bonté est plongée dans un sommeil profond, les jeunes esclaves, comprenant entre autres River et son amoureuse Ginny, en profitent pour se baigner dans l'étang. Surpris par le jeune maître de maison : "Bass Bryce", River va lui faire une démonstration d'apnée en restant sous l'eau longtemps, presque six minutes. Après avoir fait un pari avec River qui engage le jeune maître à pouvoir coucher avec la jeune esclave Ginny, celui-ci devant le stoïcisme de l'esclave à commettre l'irréparable va le prendre sous son aile, l'instruire, l'habiller et le former à l'art du pistolet. Un duo prend forme pour nous renvoyer en 1857, dans le comté de Poinsett en Arkansas où River est devenu un adulte toujours à la solde de son maître méprisable avec qui il s'adonne à des arnaques. Un maître qui ne le maltraite pas mais le considère comme un objet, le sien.
Une approche scénaristique pertinente au service d'un personnage gravitant dans un western "oh combien" passionnant avec son univers implacable. Une posture délicate pour River qui avant d'être shérif adjoint pour le colonel Terrence B. Helena, US Marshal (absent de ce tome), n'était qu'un nègre de plus servant d'outils pour son maître. Avec ce tome 7, on découvre comment l'adjoint Marshall Bass en est arrivé à devenir libre, à s'émanciper de son maître, et même à rencontrer sa future femme Sheba, accompagnée de Delilah bébé. Une découverte pleine de sens qui prouve qu'avec Macan rien n'est dû au hasard. Une liberté qui malgré tout reste insuffisant pour faire oublier à River sa condition de nègre mais qui a le mérite de l'ouvrir sur une vie dont il a les commandes. Une mainmise sur sa vie qui se paye en assumant les conséquences des arnaques auxquelles il a participé avec son maître, lors d'une pendaison qui vire en un règlement de comptes percutants. Niveau péripétie bien qu'il soit tempéré en grande confrontation, le récit profite d'une véritable rigueur au niveau de la narration, avançant à bon rythme pour une conclusion sanglante avec un ultime face-à-face entre River Bass et Bryce Brass, offrant toute la contextualisation et la symbolique du nom : « River ».
Petite parenthèse également appréciable autour d'un petit chapitre sur le passif de Beef, lors de la guerre de Sécession, première guerre à laquelle il a participé, démontrant toute l'austérité et la perfidie du gouvernement et des médias. Dès les premières pages, on est emporté par la technicité visuelle de « Maître Bryce », doté d'une mise en page robuste appuyé par un style graphique moderne proche des comics. Un travail du trait épuré sur les personnages qui dégagent une malfaisance vicieuse et perfide des plus troublants, le tout sous un réalisme palpable garantissant une crédibilité à ce western malsain. L'environnement nauséabond est représenté par des décors qui transpire la difficulté sociale, offrant une dimension dramatique austère venant contraster avec la grandeur des westerns américains. Une ambiance atypique pour un western unique.
CONCLUSION :
Marshal Bass tome 7 : « Maître Bryce », est une bande dessinée passionnante dans laquelle l'on va découvrir les origines de River Bass. Un passé tumultueux construit dans le sang idéalement porté par le scénario de Macan que les dessins de Kordey rendent vivant. Un western captivant alimenté autour d'un périple de plus en plus intimiste autour du Marshal adjoint rendant chaque aventure dramatiquement intense et saisissante le tout enrobé par un contraste décidément toxique pour ses personnages.
La saga Marshal Bass a trouvé ça propre voie au sein d'un genre qui joue pourtant du coude pour exister. Bravo !
- Est-ce que...
- C'est sa fille, oui. Ça aurait pu être la tienne, mais c'est la sienne. Tu veux savoir ce que je lui ai appris ? Je lui ai appris à détester tous les noirs et à n'aimer que les blancs. Comme ça, sa fille sera encore plus blanche, et la fille de sa fille encore plus... Et finalement, si Dieu le veut, la fille de la fille de sa fille sera si blanche qu'elle dominera tous les hommes !