Maldoror et moi
5.9
Maldoror et moi

BD franco-belge de Benoît Broyart et Laurent Richard (2022)

Dans Taxi Driver, Martin Scorsese nous invite à explorer la psyché de Travis Bickle, un chauffeur de taxi qui sillonne New York de nuit, tout en maugréant contre les maux qui, selon lui, affligent la métropole américaine. Dans une certaine mesure, et en exploitant le neuvième des arts, Maldoror et moi est une œuvre parente, puisque Benoît Broyart et Laurent Richard y radiographient l’esprit torturé de Martin, un adolescent de dix-sept ans en rupture avec son environnement et tourmenté par la lecture de Lautréamont. À la manière de John Carpenter racontant la dégradation morale d’Arnie Cunningham au contact de sa Plymouth Fury rouge sang dans Christine, le tandem aux commandes de Maldoror et moi va faire des textes du comte de Lautréamont l’incubateur d’une folie qui se fait progressivement jour.


Le cadre de vie de Martin n’a rien d’enchanteur. Orphelin de mère, sous la garde d’un père alcoolique et lymphatique, habitant une banlieue suburbaine sans charme, il se réfugie dans la musique. Abel et Léa, ses compagnons de route, expriment cependant de plus en plus de réserves sur ses idées « glauques ». La rupture sera bientôt consommée et le groupe va péricliter, après que Martin s’est laissé bercer par la plume évocatrice de Lautréamont, dont le personnage mystérieux et abject de Maldoror hante toujours plus l’adolescent. À travers des dessins souvent suggestifs, dont la pluralité de styles est à souligner, Laurent Richard portraiture l’univers intérieur tourmenté de son jeune héros. Maldoror y agit comme un tireur de ficelles, projetant Martin vers la dépravation et la violence à mesure qu’il s’engonce dans les textes de Lautréamont.


« On ne veut pas sortir de son petit confort bourgeois. On ne veut pas s’enfoncer dans le noir. » Ce sont les premiers reproches formulés par Martin à l’encontre d’Abel et Léa, qui accueillent froidement les dernières propositions artistiques de leur ami. Et pour marquer le moment où Maldoror prend le dessus sur son hôte, Benoît Broyart et Laurent Richard empruntent à nouveau à Taxi Driver le symbole du changement capillaire : la crête punkoïde de Travis Bickle semble en effet renfermer les mêmes affects que le crâne rasé de Martin. Replié sur lui-même, sombrant dans un imaginaire lui-même phagocyté par la puissance discursive de Lautréamont, Martin dénonce à l’école une « société pourrie » et « quelques gros PDG de merde qui s’engraissent sur le dos du plus grand nombre ». Il assène à son père : « J’avais besoin de changement, tu ne peux pas comprendre ça, toi qui t’encroûtes dans le canapé ! »


Il y a derrière ces événements deux enjeux universels bien palpables : le deuil – Martin reproche à son père la mort de sa mère, ou en tout cas sa réaction inappropriée à ce drame – et les turbulences de l’adolescence – Martin se cherche, se soustrait aux attaches et aux autorités (parentales, scolaires, sociales, pénales…). « Je constate avec plaisir que mes enseignements cheminent en toi », résume Maldoror, qui agit sur Martin, sous une forme dérivée, comme un cancer comparable à celui de Vidéodrome (David Cronenberg). « Le métier commence à rentrer, Martin. C’est bien. Toute cette boue pénètre en toi, prend ses aises. Je crois que je n’ai pas eu un élève aussi doué depuis longtemps. »


Graphiquement superbe, authentique plongée au cœur de la folie humaine, Maldoror et moi est imprégné par la culture populaire et hybride ingénieusement ses thèmes avec la puissance suggestive de l’art. Benoît Broyart et Laurent Richard façonnent en maîtres un album dense, troublant et fascinant.


Sur Le Mag du Ciné

Cultural_Mind
7
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le 10 avr. 2022

Critique lue 42 fois

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