Maltempo
7.2
Maltempo

BD franco-belge de Lionel Papagalli (Alfred) (2023)

Quand la vita n'est pas si dolce…

Dans son village d’Italie du sud au décor de carte postale, Mimmo s’ennuie pourtant ferme, sans autre horizon que la misère et une mafia qui cherche à bétonner le paysage d’hôtels 4 étoiles. Le jour où la radio Hit-Hit FM annonce qu’elle va organiser un casting pour sa célèbre émission musicale, le jeune garçon y voit une planche de salut pour accéder à la gloire et prendre le large ! Il décide alors de rameuter ses potes avec qui il avait monté naguère un groupe de rock, plombé depuis par divers aléas. Mais le casting est prévu dans une semaine, ce qui ne laisse guère de temps pour répéter… Pourtant Mimmo y croit dur comme fer, même si tout semble se mettre en travers de son chemin…

En contrepoint de la couverture nimbée d’une douceur toute méditerranéenne, le titre, « Maltempo », se place comme un bémol. « Maltempo », c’est d’abord le patronyme de Mimmo, ce jeune garçon qui s’accroche à son rêve de devenir une star du rock, et qui se traduit par « mauvais temps ». Mais ce terme italien pourrait suggérer aussi, en référence à un langage musical universel, le mauvais tempo, cette « cassure rythmique » qui freine Mimmo dans son ascension vers la célébrité, et parallèlement vers cette liberté qui lui permettrait de s’extirper définitivement d’un quotidien miné par la misère et le désœuvrement, des maux accentués par la mafia. Une plaie sociale systémique, qui, comme le souligne discrètement Alfred au cours du récit, réveille la nostalgie d’une période politique autant fantasmée qu’infamante, le fascisme italien sous Mussolini, réincarné récemment avec l’arrivée au pouvoir de Georgia Meloni.

Malgré ce contexte social peu engageant, ce dernier volet de la fameuse trilogie italienne d’Alfred vient nous enchanter comme les deux précédents. Si comme le suggère la chanson, la misère est moins dure au soleil, elle n’en est pas moins âpre, et le charme du décor, évident pour le lecteur vivant dans des contrées à la météo moins souriante, ne suffit pas à remplir les estomacs. Ce que semble nous dire Alfred, c’est peut-être de nous méfier des cartes postales !

Pourtant, on ne va pas bouder son plaisir ! L’auteur, qui par sa trilogie — où chaque histoire se lit indépendamment, il est bon de le préciser — a cherché à raviver ses souvenirs d’enfance dans l’Italie d’où son père était originaire, nous propose une histoire belle et simple. « Maltempo », c’est un conte de fées moderne où la seule baguette magique est contenue dans les rêves de Mimmo, des rêves très puissants qui vont se livrer à une sorte de match avec un destin revêche, symbolisé par cette meute de chiens errants au regard malveillant n’apparaissant que dans l’imagination du jeune garçon. Une fois de plus, l’auteur a conçu une galerie de personnages très bien campés, parmi lesquels on n’oubliera pas l’adorable gamin à la tignasse afro, qui n’hésitera pas à jouer David contre Goliath face aux tourmenteurs de Mimmo…

Comme pour « Come Prima » et « Senso », le décor évoquant cette Italie est presque un personnage à lui seul, mais aussi une véritable invitation au rêve, ainsi qu’un hommage, conscient ou pas, aux origines paternelles de l’auteur. Le dessin y est évidemment pour beaucoup, avec cette ligne claire stylisée que vient sublimer la palette de couleurs lumineuses et nuancée de Laurence Croix, qui sait moduler les atmosphères en fonction des heures du jour ou de la nuit, provoquant en nos rétines un délicieux enchantement faisant oublier la rigueur du contexte lié au récit. Assurément, l’enfer sait mentir et peut aussi se parer des plus beaux atours.

« Maltempo » vient compléter harmonieusement ce somptueux puzzle à trois pièces. Alfred réussit de nouveau à nous émerveiller avec un ouvrage rafraichissant et vibrant d’électricité grâce aux riffs telluriques de Mimmo, star du rock en devenir… Un des très beaux albums de l’année 2023, tout simplement.


LaurentProudhon
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le 3 mai 2024

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