La préface de cette intégrale parle d'un Watchmen punk, d'un brûlot contre les super héros, d'une violence faite à l'iconographie DC/Marvel, d'un retournement de paradigme, d'une maltraitance sans pareil... Et ben, le Hummer piloté par Pat Mills et Kevin O'Neill fonce dans le tas et il ne reste que des bouts de chair dégoulinante.
Imaginer que cela puisse être différent de la part de Pat Mills serait une grave erreur. Le co-créateur de Judge Dredd et du périodique 2000 A.D., dans lequel ont écrit les plus grands auteurs anglais de comics, de Warren Ellis à Grant Morrison, sans oublier Alan Moore, ne s'est jamais caché de sa detestation des super héros et de l'attention trop importante qui leur est offerte, notamment dans les comics. C'est donc par le biais du personnage de Marshall Law que l'auteur s'en prend avec une verve sans précédent aux héros en cape.
Dans une San Francisco du futur (justement appelé San Futuro), ravagée par un cataclysme sismique, le personnage principal est un flic aux pouvoirs créés par une agence gouvernementale américaine (le S.H.O.C.C.). Il traque d'autres "héros" ayant décidé de rendre une justice toute aussi tordue que malsaine. Et pour cause, les pouvoirs ont été attribués à des soldats envoyés mener une guerre en Amérique du Sud et qui en sont revenus marqués, choqués et épris d'une soif de violence qui ne pouvait se résoudre que dans le sang.
Et alors là, la violence gratuite et le sexe sont les deux armes que s'amusent à utiliser Mills et O'Neill pour s'en prendre tour à tour à la guerre du Vietnam, à l'ingérence de la CIA en Amérique du Sud dans les années 1980, à la propagande militaire en temps de guerre, à la fausse image des super héros, au fascisme américain et à des tas de petits maux révélés dans ce comics. Sans parler des sous entendus malsains que peuvent véhiculer les images de femmes soumises, de jeunes hommes utilisés comme faire valoir sexuel des puissants héros virils ou encore de la justice sommaire et expéditive.
Le seul écueil pouvant poser problème demeure le dessin, bien qu'il parvienne à accompagner avec maestria le discours brutal, caricatural et sans concession. Le style de Kevin O'Neill reste néanmoins particulièrement laid et primaire. Lignes droites, imagerie bauhaus outrancière, croix gammées à tous les étages, la surenchère reste le maître mot et même si le propos se prête parfaitement au dessin et inversement, cela reste particulièrement moche. Pas mal dessiné, mais super moche.
Une réussite sans concession qui traduit un vrai propos, pas forcément finement amené mais particulièrement profond. Même si l'édition reste un peu chiche en suppléments, proposer cet ouvrage est un pari osé de la part de l'éditeur Urban Comics qui a choisi un matériau de grande qualité. Merci pour ça !