De l'Art (Spigielman) avec un grand A
Le pari était risqué. La qualité et le succès n’en sont que plus éclatants. MAUS nous dépeint avec des mots frappants et des dessins inspirées l’histoire de Vlavek Spigielman, notable juif de Sosnowiec, en Pologne, pris dans la spirale infernale de la Seconde Guerre Mondiale.
On va me dire que c’est du réchauffé. Que certes, c’était terrible mais que les témoignages autour et la médiatisation qui en sont faits sont toujours plus véhiculés que d’autres sujets qui ont autant d’intérêt. Aux détracteurs des témoignages sur la Seconde Guerre Mondiale, j’oppose tout d’abord l’héritage. S’il est vrai qu’il y a eu beaucoup de témoignages, qu’on a tous les ans un film à gros budget pour rappeler cette période sombre, c’est que le sujet à son importance. Mais au-delà de cet argument dont nos oreilles sont rebattues, j’oppose la chose suivante : MAUS est une bande dessinée fabuleuse.
On y retrouve tout d’abord un aspect qui figure dans à peu près toutes les autres œuvres recouvrant cette période, à savoir la survie par le hasard, certains diraient peut-être à tort la chance. Vlavek va en effet rester au tristement célèbre camp d’Auschwitz-Birkenau pendant 10 mois, tout comme sa femme et tout deux, hasard formidable, vont en sortir vivants par une succession de situations plus critiques les unes que les autres. Rien que la lecture de leurs conditions de vie, celle de leurs malheurs, de leurs rares joies et perpétuels combats justifie l’existence de l’oeuvre
Toutefois, l’originalité de MAUS réside surtout dans le fait que c’est le fils qui raconte l’histoire de son père. Ce mode de narration permet d’aller plus loin que le simple « pendant » la guerre et on apprend comment Vlavek et sa femme ont vécu par la suite : ce que la guerre en a fait, ce qu’elle a détruit en eux. Et l’on se rend doucement compte qu’une partie d’eux-mêmes est morte là-bas, qu’ils sont là mais pas vraiment.
On se rend compte que l’auteur a souffert d’un père insupportable, rongé par ce qu’il a vécu, incapable de profiter de ce qu’il a par tous moyens tenté de sauver de la guerre : sa vie.
MAUS n’est pas complaisant. Certainement pas envers les nazis certes, mais ni envers Vlavek dont est dressé le portrait d’un homme avare, mais avant brisé, comme déjà mort. Paradoxalement, l’amour suinte de l’œuvre, on sent bien le désarroi de l’auteur face à cette situation qui l’a dépassé et qu’on lui reproche de ne pas comprendre.
Au-delà du fond en lui-même, la force de MAUS réside dans sa forme. Le format BD pour un sujet tel que celui-là peut déconcerter (à tort, bien d’autres grands classiques de la bande dessinée traite de sujets aussi graves avec justesse), et pourtant le format vignette colle parfaitement : le dessin de l’auteur est sobre, noir et blanc sont de mise, est vraiment beau et surtout cohérent. Du fait de l’emploi de bulles peu de mots sont dits, mais cela ne leur donne que plus de force et contrairement à ce que l’on aurait pu penser à première vue, ils n’affaiblissent pas l’histoire. Enfin lorsque les mots ne suffisent plus les dessins sont là pour combler ce vide rageant.
Le dessin présente lui-même une originalité notable et qui rend MAUS unique : l’auteur dessine les visages des protagonistes comme étant ceux d’animaux, pas d’hommes. Ainsi, les juifs polonais sont dépeints en souris et les allemands, nazis ou pas en chats. La chasse n’en est que plus poignante.
MAUS m’a bouleversée tout autant qu’un format (auto)biographique classique. On n’en ressort pas indemne, et avec une meilleure réflexion l’histoire étant racontée par quelqu’un qui a subi la situation mais ne l’a pas vécue directement et dispose donc d’un certain recul. Le récit est aussi passionnant et instructif que « Si c’était un homme », n’en déplaise aux rétracteurs du format BD.
Tant de cœur et de finesse en une seule œuvre me font dire que MAUS méritait amplement le Prix Pulitzer qui lui a été décerné en 1992 (du jamais vu pour une BD !), tout comme son triomphe dans les librairies. A posséder absolument.
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