Du rouge à lèvres pour échapper aux tranchées
Il a fallu près d’un siècle pour y arriver mais aujourd’hui, la tendance est indéniable: les femmes auteures de BD occupent enfin une place importante dans les rayons des librairies! La dessinatrice et scénariste Chloé Cruchaudet en fournit la preuve éclatante en signant « Mauvais genre », un roman graphique fort et sensible basé sur l’histoire vraie d’un déserteur obligé de se travestir pour échapper à la prison et qui finit par prendre goût au fait d’être une femme. S’inspirant de l’essai historique « La garçonne et l’assassin » (écrit par Danièle Voldman et Fabrice Virgili, que Chloé Cruchaudet a un jour entendu parler de leur livre à la radio, ce qui lui a donné l’idée d’en faire une adaptation dessinée), « Mauvais genre » raconte la destinée hors du commun de Paul Grappe et Louise Landy. Dans un premier temps, l’histoire de ces deux jeunes gens du début du XXème siècle n’a rien d’exceptionnel: ils tombent amoureux lors d’un bal puis se marient. Mais très rapidement, la Première Guerre mondiale éclate et Paul est envoyé sur le front. Il ne tarde pas à y découvrir l’enfer des tranchées, et voit l’un de ses camarades se faire arracher la tête par un obus juste sous ses yeux. Chloé Cruchaudet consacre peu de pages à la guerre mais, grâce à son dessin très expressif et l’utilisation habile du noir et blanc (parsemé de quelques touches de couleur), elle plonge véritablement ses lecteurs dans l’atmosphère particulière de ces années-là, comme elle parvient à le faire aussi dans les pages situées dans un atelier de couture ou dans le Bois de Boulogne. Pourtant, elle avoue qu’elle avait peur de s’attaquer à l’épisode des tranchées. « Je faisais un complexe vis à vis de Tardi. Du coup, je n’ai rien relu de ses oeuvres avant de me lancer », explique-t-elle dans une interview au site Bodoï. Mais revenons à Paul. Après avoir assisté, impuissant, à la mort de son copain, c’en est trop pour lui: pour échapper à la guerre, il n’hésite pas à se couper un doigt, ce qui lui permet de rester bien au chaud à l’infirmerie et d’enfin pouvoir profiter de la compagnie de Louise. Hélas, il ne peut pas rester là indéfiniment. Avec l’aide de Louise, il décide donc de déserter. Le problème, c’est qu’une fois caché dans un hôtel à Paris, il ne tarde pas à se rendre compte qu’il est condamné à rester enfermé, ce qui le met de fort mauvaise humeur. La solution qu’il trouve alors pour se balader sans crainte d’être arrêté est de se déguiser en femme. C’est ainsi que Paul devient Suzanne, et qu’il entame une nouvelle vie comme ouvrière dans un atelier de sous-vêtements féminins. Au début, il trouve cela grisant. Mais une fois de plus, Paul ne tarde pas à se lasser. Heureusement, pour tuer son ennui, il découvre que son personnage de travesti plaît beaucoup aux visiteurs nocturnes du Bois de Boulogne, qui aiment s’y adonner à des pratiques peu catholiques. En peu de temps, Suzanne devient la vedette du Bois, alors que Louise, de plus en plus délaissée par son mari, s’inquiète de voir celui-ci devenir de plus en plus Suzanne et de moins en moins Paul… « Mauvais genre » est un roman graphique qui parle des ravages psychologiques de la guerre, des problèmes d’identité sexuelle, et même de l’alcoolisme et de la violence conjugale. Tous des sujets qui sont, a priori, plutôt glauques. Pourtant, le livre ne l’est pas du tout. Chloé Cruchaudet parvient en effet à aborder cette histoire étonnante avec beaucoup de légèreté et de délicatesse, ce qui fait d’ores et déjà de cette BD une des toutes bonnes surprises de l’année 2013. Logique, dès lors, que « Mauvais genre » vienne de remporter le Prix Landerneau BD, une récompense remise par la chaîne de magasins Leclerc en France. Un prix largement mérité.
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