Mauvais genre
7.7
Mauvais genre

Roman graphique de Chloé Cruchaudet (2013)

[SPOILER ALERT]

Je m’appelle Paul. Je fuis cette putain de guerre qui aurait déjà dû finir. Je fuis ces putains de tranchées qui vont achever de me rendre fou, comme les autres. Je le sais. Si je reste là, je n’y survivrai pas. Et il y a Louise, ma belle Louise que j’ai dû abandonner à peine notre mariage célébré. Je vais devoir me cacher mais au moins elle sera là.

Je m’appelle Suzanne. J’aime Louise. Je ne supporte pas l’enfermement et me glisse tant bien que mal dans cette nouvelle peau qu’elle m’aide à adopter pour que je puisse être libre. Ou presque libre. J’ai du succès. Je séduis par mon mystère, puis par l’assurance que je gagne petit à petit. A vrai dire je n’y aurais pas cru si on me l’avait prédit. Je commence à aimer ça. La liberté.

Je suis Paul. J’aime Louise et je sais que je la mets en danger, elle aussi, à fuir. On me cherche, on la cherchera. Je dois me cacher. L’enfermement dans cette chambre minable peut aussi sûrement me tuer que les coups de fusil si l’on sortait la tête d’un de nos trous. Je ne supporte pas de ne rien faire. Et elle ne pourra pas supporter le poids de mon inactivité bien longtemps avec sa paie de petite main.

Je suis Suzanne. Je profite de la vie qui m’est donnée, cette vie rallongée grâce à ce que j’ai fui et qui m’aurait tuée. Je me perds dans le bois, en deviens la reine. Là-bas, je peux être qui je veux. Le reste n’a pas d’importance. J’aime Louise. Je crois. Elle est jalouse de mon succès, ne comprend pas ce besoin que j’ai de me mettre en avant, de me rapprocher des autres. Elle me veut pour elle seule et moi je veux fuir, au moins pour quelques heures, cette chambre où elle m’enferme, cette chambre où je ne peux jamais oublier ces amis tués sous mes yeux.

Je suis Paul. La guerre est finie et chacun peut commencer à l’oublier. Mais pas moi. L’ironie veut que la guerre continue pour moi, moi qui l’ai quittée avant la fin. On ne pardonne pas les déserteurs. Encore enfermé, encore caché. Je n’arrive pas à me réjouir de la fin des massacres. La guerre n’est pas finie pour moi.

Je suis Suzanne. Je suis celle qui peut vivre comme elle l’entend, celle qui profite à l’excès des libertés qu’elle a. Je suis celle qui entraîne Louise dans ces excès, au risque de la mêler à ma folie. Je suis celle qui s’en fiche parce qu’elle en a les moyens. Je suis celle pour qui la guerre est terminée. Enfin.

Je suis Paul. Je crois. J’ai l’impression de perdre Louise, à mesure que je me perds.
Je suis Suzanne. Libre, toujours.
Je suis Paul, enfin. J’ai le droit de sortir, on pardonne les déserteurs.
Je suis Suzanne, encore. Comment oublier celle que j’étais pendant tant d’années, en un claquement de doigts ?
Je suis Paul, enfermé dans mon esprit malgré ma liberté.
Je suis Suzanne, toujours. Enfermée par un Paul qui veut me retrouver.
Je suis Suzanne. Paul. Suzanne…
Nomenale
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le 15 mars 2014

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