À certains égards, Moon Deer est le parfait reflet de son créateur Yoann Kavege : un petit cerf comme mascotte cachant bien son jeu pour un auteur dont la relative jeunesse s’accompagne d’une indéniable maturité. Produit d’un financement participatif réussi, ce premier album laisse une forte impression tant sur le plan graphique que narratif, ses dehors simplistes et sa trame linéaire ne contredisant en rien une envergure palpable.
Moon Deer constitue donc un bien bel objet : des couleurs en pagaille au diapason d’une noirceur consommée, des lignes harmonieuses mais complexes, des designs efficaces et une mise en scène marquant la rétine. Toutefois, ce serait un tort que de s’en tenir à des considérations purement matérielles : de fait, le découpage oscillant entre dynamisme et contemplation de bon aloi se veut au service complet du récit, aussi peu bavard et expansif serait-il.
Il apparaît alors que le roman graphique est plus malin que supposé : car sans trop en dire, Kavege évoque beaucoup et suscite notre pleine et entière attention, nonobstant les éventuelles prévisibilités d’usage... telle cette inversion des rôles pressentie mais bien amenée. Bref, les indices ne manquent pas, à l’image de cette fresque en huit « cases », symbole remarquable s’il en est : de fil en aiguille, la duperie prend donc et le contre-pied y va de son petit effet, conférant à Moon Deer une empreinte amère saisissante.
À l’ombre d’un Grand Silence et de vestiges désolés, rédemption fataliste et quête conditionnée vont animer le vide immense du cosmos : une course-poursuite allant de galaxie en galaxie, de planètes en planètes (et leurs décors apocalyptiques captivants) jusqu’au grand final, terrible dans sa finalité mais dénué de tout manichéisme. Le mystère du « Berceau » en partie révélé et le rôle de l'œuf renversé, tout ne le sera pas pour autant : mais dans le sillage d’une atmosphère tantôt poétique, tantôt mélancolique, Moon Deer accouche d’un dénouement voué à nous trotter longtemps en tête.
Mission accomplie petit cerf.