Que s’est-il vraiment passé dans le camp militaire de Thiaroye, au Sénégal, le 1er décembre 1944? Selon la version officielle, des troubles auraient éclaté ce jour-là entre les autorités coloniales françaises et des tirailleurs sénégalais regroupés dans ce camp pour être démobilisés. Pourquoi ces heurts? Tout simplement parce que l’Etat français refusait de payer les indemnités promises à ces soldats africains depuis des mois, alors que ceux-ci s’étaient pourtant battus pour la France durant la Seconde guerre mondiale. Toujours selon la version officielle, les gendarmes français n’auraient pas eu d’autre choix que d’ouvrir le feu pour mettre fin à cette mutinerie, entraînant ainsi la mort de 35 tirailleurs sénégalais. Parmi les survivants, 34 hommes furent jugés et condamnés, certains d’entre eux allant même jusqu’à faire de la prison. Mais est-ce vraiment comme ça que les choses se sont déroulées? Pour l’historienne Armelle Mabon, la réponse est clairement non. Il y a une vingtaine d’années, alors qu’elle se rend au Sénégal pour ses recherches, elle rencontre Biram Senghor, le fils d’un des tirailleurs tués à Thiaroye. En l’écoutant, elle acquiert l’intime conviction que l’Etat français ment sur cet épisode tragique. Et si la répression sanglante de Thiaroye cachait en réalité un massacre prémédité? Et s’il y avait eu bien plus que 35 morts? Déterminée à rassembler les preuves (souvent bien cachées) de ce qu’elle avance, Armelle Mabon entame alors un long travail de recherche. Au passage, elle se fâche avec un grand nombre de personnes, que ce soit dans son université, dans le milieu des historiens ou même dans son entourage très proche. Mais elle ne perd jamais son objectif de vue: réhabiliter l’honneur bafoué des tirailleurs sénégalais assassinés par la France. "La vérité est comme la vie, elle trouve toujours un chemin", souligne-t-elle.


Sur la première page de leur album, les auteurs Pat Perna et Nicolas Otero soulignent que "certaines scènes, situations et certains personnages ont été modifiés ou totalement imaginés pour les besoins de la fiction". Hélas, beaucoup de choses sont pourtant vraies dans leur livre. D’une part, Armelle Mabon est réellement une historienne. D’autre part, elle se bat effectivement depuis une vingtaine d’années pour faire reconnaître le massacre dans lequel de très nombreux tirailleurs sénégalais ont perdu la vie à Thiaroye en 1944. La première version officielle parlait de 35 morts. C’est ce chiffre qui a de nouveau été mentionné par le président François Hollande dans son discours à Thiaroye en 2012, lorsqu’il fut le premier chef d’Etat français à évoquer publiquement cette "part d’ombre" dans l’histoire de son pays. Dans "Morts par la France", Pat Perna et Nicolas Otero vont plus loin encore, puisqu’ils prennent fait et cause pour la thèse défendue par Armelle Mabon. Selon cette dernière, ce seraient en réalité plusieurs centaines de tirailleurs sénégalais qui auraient été abattus froidement le 1er décembre 1944 avant d’être jetés dans une fosse commune. Dans leur BD, les deux auteurs suivent pas à pas la démarche de l’historienne bretonne, de même que les nombreux obstacles placés sur sa route pour l’empêcher de découvrir la vérité. Pour rendre leur récit plus vivant, Perna et Otero utilisent aussi régulièrement des flash-backs sur le sort du soldat Mbap Senghor, l’un des tirailleurs tués à Thiaroye. Forcément, la lecture de cet album n’a rien d’une partie de plaisir. Au plus il apparaît que l’Etat français a dissimulé les preuves, au plus on ressent un malaise. Bien plus qu’une simple BD, "Morts par la France" est un témoignage historique très fort, qui cherche enfin à rétablir une vérité qui dérange. A noter que la BD éditée par Les Arènes contient également un article de la revue XXI sur le massacre de Thiaroye, publié durant l’été 2017.


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matvano
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le 7 juin 2018

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