MW
À la fin des années 70, TEZUKA a déjà réalisé une bonne partie des oeuvres majeures qui ont fait sa renommée. « MW » continue dans cette lignée.Le mangaka est souvent associé à un univers enfantin,...
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le 28 juil. 2022
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Éclectique, c’est le mot juste. C’est en tout cas le mot le plus à même de désigner Osamu Tezuka pour ce qui concerne l’ensemble de sa création. Je l’ai déjà écrit en d’autres occasions, cet homme-là a tout inventé. Tout. Il aurait pu se contenter d’avoir seulement posé les lourds jalons du manga tel qu’on le connaît, s’arrêter à une révolution seulement ; mais non. Il aurait pu, là encore, s’estimer heureux d’être consacré comme un grand du manga, un auteur indélébile après Tetsuwan Atom dont on chantera encore les mérites des décennies après. Mais là encore, non. Ça ne suffisait pas. Il y avait, dans cet homme-là, trop de création pour que ça lui reste coincé dans le crâne ; fallait que ça sorte, qu’il purge son trop-plein d’idées en vidant crayons et stylos sur toutes les feuilles blanches qui lui passaient sous la main. Il a inventé le Shônen d’un même élan que celui qui lui permit plus tard de fonder le gekiga – entre bien d’autres courants. En un sens, c’est comme si les frères Lumières, après avoir créé le cinéma, avaient aussi approfondi leur art en établissant eux-mêmes chaque genre de film qui puisse exister de par leur seule production filmique. On a beau constater le palmarès de Tezuka, savoir que ça existe, que c’est même incontestable : c’est dément.
Un homme capable de passer de mangas pour enfants à des thématiques autrement plus dures, en se permettant même un détour du côté de l’histoire ou bien de la religion, vous n’en trouverez pas des masses. Que ce soit dans le milieu de l’édition manga ou dans tout autre courant artistique d’ailleurs. Car, tous ces genres, il ne s’y sera pas seulement essayé… il aura chaque fois succédé dans son entreprise – même si je lui nie certains prestiges comme je le ferai ici. De même que Takehiko Inoue sera passé de Sakuragi Hanamichi à Miyamoto Musashi, Osamu Tezuka, pour sa part, sera passé d’un manga où un enfant robot souriant s’adonne à ses facéties pour ensuite poursuivre sa lancée sur un manga où, dès les premières pages, on retrouve un enfant mort pour assouvir un crime crapuleux. C’est de MW, dont je vous parle, peut-être l’un des mangas les plus sérieux qu’aura pu commettre son auteur. Du moins le dit-on.
C’en est fini de ces personnages aux silhouettes grotesques et cartoonesques. Ici, le style de l’auteur – très distinctif – a quelque peu vieilli, mais il est autrement plus grave que du temps de ses premières esquisses. C’est très adulte dans les tons, comme si l’art de Tezuka avait progressivement maturé jusqu’à atteindre l’âge d’homme.
Et j’ai eu du mal à entrer dedans. L’auteur, qui se sera jadis laissé aller à du paneling de haute volée, aura plus laborieusement mis en scène son œuvre sur les planches qu’on nous présente ici. Ça n’est pas fluide d’une case à l’autre et c’en devient confus sans chercher à produire cet effet. Il y a un problème de rythme qu’on sent très tôt à la lecture et qui en perturbe le fil. Les répliques tombent mal et lourdement pour en plus mal s’enchaîner. Nous n’assistons pas à des dialogues la plupart du temps, mais à des discours décousus. Je ne sais si cela est à mettre sur le compte de Tezuka ou de l’édition, mais la lecture est laborieuse pour ce qui est de la forme de son récit.
MW, très vite, ressemble à ces films d’auteur européens qui, en leur temps, voulaient choquer les vieilles dames en abordant des thématiques osées pour leur époque. Je vous parle d’une époque que l’on situe généralement durant la décennie 1970, celle-là même qui entoure la parution de l’œuvre dont je fais la présente critique. Alors, pour un peu titiller les mœurs, on y met de l’homosexualité transgressive, présentant un prêtre qui se retrouvera tenté par un criminel sans vergogne. Peut-être était-ce surprenant et même choquant pour l’époque, mais avec près d’un siècle de recul, occupés que nous sommes à baigner dans la déliquescence des mœurs et l’impudence immature la plus outrancière, l’œuvre pourrait presque faire figure de pamphlet réactionnaire en comparaison de ce que produit notre époque ; de ce que vomit notre époque. MW paraît donc à la remorque du cinéma européen d’alors. Novateur au Japon, peut-être, mais au Japon seulement.
Bien qu’il ne soit pas qu’un auteur occidentalo-centré, Osamu Tezuka conserve néanmoins un biais xénophile flagrant. Il a certes fait honneur à sa culture à maintes reprises, mais il en revient toujours à l’Occident quand ses œuvres s’ancrent dans un cadre plus contemporain. L’auteur n’était alors pas un chroniqueur de son époque aussi sagace qu’avait pu l’être Kamimura. Oh ça non alors.
Que Yuki, le présent protagoniste principal, soit devenu ce qu’il est devenu par la malgrâce d’une fuite de gaz, que son « cœur » ait été corrompu en conséquence, s’avère être une ficelle scénaristique bien mal nouée. La première d’une longue série, et pas une à laquelle je me sentais de me raccrocher pour jouer le jeu de crédibilité. Cet être, apparemment fait de vice à l’état pur, complice volontaire de toutes les corruptions qui soient, est bien mal construit ; généré de nulle part, malsain seulement parce que la narration le lui commande. Assassin d’enfant, preneur d’otage à ses heures perdues, prompt à truquer des comptes à hauteur de milliards de yens, à corrompre les vœux d’un prêtre en diverses occasions – mais seulement après que celui-ci l’ait violé quand il avait dix ans (avant qu’il ne soit dans les ordres) –, à prendre et droguer jusqu’à l’overdose une jeune fille bien née, à en violer une autre pétrie d’innocence et de surcroît handicapée qu’il séduira afin de mieux la manipuler… pour un peu, Raoh et Freezer se sentiraient presque de lui faire une place dans leur panthéon a cet homme-là.
Oui, j’ai décidément du mal à acheter ce personnage qu’on cherche désespérément à me vendre. Ses turpitudes m’apparaissent comme des prétextes pour le rendre plus ambivalent qu’il ne l’est en réalité. Ce qui nous est présenté ici comme immoral ne l’est que pour la finalité de l’être. On se sent loin d’un Ayako dont le registre, bien qu’apparemment analogue aux yeux du profane, est autrement dissemblable. Yuki en fait de trop pour qu’on y croit, l’immoralité dont il est question ici en est si excessive qu’elle en devient grotesque et même affligeante. Le fait qu’en plus, ce protagoniste agisse en mastermind de tous les instants et s’en sorte toujours avec une facilité déconcertante – parfois au seul prétexte qu’il ait des traits féminins – ne peut s’accepter le plus souvent que comme une forme de facilité scénaristique outrageante. L’intrigue danse sur les doigts de Yuki parce que Tezuka, le temps de sa rédaction, se sera fait son avantageux complice. Toute la mise en scène et les aléas de la trame ne sont tournés que pour lui faciliter la vie et s’assurer qu’il ne rencontre ne serait-ce qu’un seul signe d’adversité sur son parcours supposé débridé.
Et le tout, avec en plus une histoire de revanche commise contre des comploteurs hauts-placés en toile de fond. Allons. C’était ridicule et voilà que c’en devient banal. D’autant plus banal que les lieux communs religieux tombent à verse. Quel complot mal ficelé de surcroît. Nous sommes ainsi passés du film d’auteur français au nanard américain voire à un mélange des deux ; le fait que la trame soit plus verbeuse et controuvée dans son parcours ne la rend décidément pas plus intelligente pour autant. Encore moins quand Yuki, dans tout ce que sa malveillance a de bouffonne, souhaite utiliser le gaz mortel… pour éradiquer le monde.
Un nanard américain vous disais-je et ce, jusqu’à la toute fin.
Je pourrais ne pas vous en parler de la fin et recouvrir pudiquement ce paragraphe d’une balise « spoiler » ; mais cette balise, je vous l’assure, serait bien superflue. Plus encore que vous en parler de cette conclusion, je vais vous donner des indices pour que vous la deviniez. Sur la fin, apparaît le frère de Yuki ; un homme qui a l’exacte même apparence que lui. Un homme qui sera même habillé exactement comme lui quand il viendra à sa rencontre. Aussi, dans le capharnaüm de la fin, Yuki vient à mourir dans le même avion où se trouvait son frère.
Dois-je vous faire un dessin ou bien insulter votre intelligence en vous disant explicitement que Osamu Tezuka, ce maître de l’écriture estimé de tous, nous a fait le coup de la fin où le clone/frère jumeau que l’on croyait avoir tué… n’était en fait pas le bon. Et Yuki s’en sort comme ça, une fois de plus, sans que personne, pas même le procureur suspicieux, n’y regarde à deux fois.
MW est une des œuvres d’Osamu Tezuka qui, sous un sérieux de pitre, a donné à l’auteur une aura adulte qu’il aura toutefois usurpée en cette occasion. C’est sans doute là l’un de ses mangas les plus surestimés de tout ce que compte sa copieuse bibliographie. Inintéressant à la lecture, à toujours en faire trop dans l’outrance pour être faussement transgressif, tout ça sur le fil d’un scénario bancal et abracadabrantesque, MW est une œuvre franchement ridicule qui n’a aucunement les moyens de ses prétentions. Si Tezuka est un grand, ça n’est pas à un manga pareil qu’il le doit ; car rarement une œuvre aura tant porté le discrédit sur sa réputation que celle-ci. Qu’on se le dise, Tezuka n’est pas devenu un auteur de légende grâce à MW, mais malgré MW.
Créée
le 1 déc. 2023
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