Nana
7.2
Nana

Manga de Ai Yazawa (2000)

"J'étais trop fragile, c'est tout. Ce n'est pas de ta faute."

Ce manga est un des grands monuments de mon adolescence. L'histoire, lue et relue, m'a accompagnée au fil des ans et je me suis vue grandir à travers elle. Il faut en effet avoir un peu de vécu pour comprendre les sentiments des personnages et leur complexité. À quatorze ans, on le lit avec l'enthousiasme naïf d'une jeune fille qui veut rêver devant les histoires de coeur des héroïnes et leurs vies d'adultes ultra glamour à Tokyo. Par la suite, le temps passe et les expériences accumulées nous permettent de saisir ce qui est raconté avec davantage d'acuité. Ça m'énervait qu'on me le dise à l'époque, mais c'est vrai. Le premier tome s'ouvre sur ces deux jeunes filles qui ont encore tout à construire, et dès lors le récit adopte un réalisme poignant et mélancolique qui sera sa marque de fabrique.


Nana et Nana font connaissance à bord d'un train bloqué par la neige et découvrent qu'en plus de porter le même prénom, elles quittent toutes les deux leur village natal pour s'installer à Tokyo, capitale où se concentre leurs espoirs et leurs rêves d'avenir. La première, Nana Osaki, nous impressionne par son charisme de chat sauvage malmené par la vie, son talent de chanteuse et ses amours tragiques. La seconde, Nana Komatsu, bien vite rebaptisée Hachi, est plus ordinaire et de fait plus accessible : après des études d'art faites un peu au hasard, elle part rejoindre son copain et entend bien devenir du même coup "une femme indépendante". Il va sans dire que tout ne se passera pas comme elle l'avait prévu... La première est portée par une passion qui donne un sens à sa vie, mais la seconde n'a pas de but aussi précis dans l'existence. Elle va pas mal (se) chercher, et pas mal se paumer aussi. Deux héroïnes attachantes, donc, chacune à sa manière. Surtout, bien loin des standards idéalisés des shojos, elles sont humaines, parfois hilarantes, courageuses et profondes, parfois odieuses, lâches et irréfléchies. Le lien qui se tisse peu à peu entre elles sera le fil conducteur de l'histoire.


Le reste de la galerie des personnages est dans la même veine : entiers, avec les défauts de leurs qualités, pleins de failles et d'aspérités à travers lesquelles on peut se reconnaître. Plus l'histoire avance, plus ils se livrent au regard du lecteur et nous donnent à voir leurs faiblesses, leurs ambiguïtés. Alors qu'ils auraient pu être des stéréotypes sans relief (Nobu, le gentil garçon, Shin, le beau gosse, Yasu, le grand frère de la bande, Reira, la princesse parfaite, etc.), ils se révèlent complexes et nuancés. Mention spéciale à Takumi qu'on nous présente à dessein (à dessin héhé tu l'as) comme le salaud de service alors qu'il deviendra un des personnages les plus aboutis de l'histoire. Ce n'est pas une vision manichéenne que développe ici Yazawa, mais bien celle d'une auteure aguerrie qui porte un regard plein de finesse sur son époque, ses tendances, ses maux aussi.


Seront abordés en effet des sujets aussi complexes que la prostitution adolescente, l'addiction, l'infidélité, la violence conjugale (je suis réservée sur ce dernier point car le traitement de la question est bien trop léger à mon goût), etc.


C'est tragi-comique, comme la vraie vie, avec des passages à hurler de rire et d'autres qui font sangloter éperdument. Avec en toile de fond une mélancolie prégnante, car l'histoire est racontée sur le mode rétrospectif par une Nana Komatsu plus âgée qui se penche sur ses souvenirs. À chaque fin de chapitre, ses monologues laissent entrevoir la tristesse d'une femme mûre, désabusée, en parfait contraste avec l'écervelée totale qu'elle est à vingt ans. Plus tard, Nana Osaki prendra elle aussi la parole et les deux femmes, séparées par un drame dont on ne connaît pas la nature, n'auront de cesse de s'adresser à l'une à l'autre. Que s'est-il passé exactement ? C'est toute la question et le manga va tâcher d'y apporter des réponses, tome après tome...


Les joies et les peines de l'existence, les relations humaines dans tout ce qu'elles ont de complexe et d'ambivalent, la difficulté de vivre avec les autres et de les aimer correctement, la difficulté de savoir ce qu'on veut : autant de réflexions développées dans ce magnifique récit. On peut déplorer un virage vers le mélodrame un peu lourdingue à partir des tomes 8-9 où un rebondissement digne d'un soap opera vient bouleverser la vie d'Hachi. À partir de là, l'auteure se perd un peu en route. Face au succès croissant de son oeuvre, nul doute que ses éditeurs lui ont mis la pression pour rallonger l'histoire autant que possible. Résultat, elle a craqué avant la fin et je doute qu'on ait un jour accès aux derniers tomes...

Blue_wall
10
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le 8 févr. 2020

Critique lue 384 fois

2 j'aime

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