Naruto
6.7
Naruto

Manga de Masashi Kishimoto (1999)

Pareil au supplice du pal, Naruto commence bien et finit mal

Ma première introduction aux mangas papiers se fit par le biais de Shaman King et Naruto. Un ami faisait la collection de la première série, moi de la seconde. Je ne l'ai pas regretté, mais inutile de préciser que je ne l'ai pas complétée. J'étais alors en CM2, donc particulièrement jeune et la parution en France allait en ce temps là jusqu'au tome seize. Autant dire que je n'avais aucun moyen à ce stade de prédire le drame qui allait advenir.


En ce temps là, ma culture manga se bornait au matage de quelques OAV DBZ (je suis né - fort heureusement - après le club Dorothé). Autant dire que je n'avais pas le recul nécessaire en ce temps pour appréhender le génie de Kishimoto dans son approche du genre.
Entre deux chapitres figuraient dans les volumes reliés des dessins originaux ou bien des tranches de vie narrés par l'auteur. Son parcours notamment.


Son style graphique dérangeait quelque peu le Shônen Jump de ce qu'il rapportait car était à bien des égards trop élaboré et plutôt propre aux Seinen. C'est un point à relever qui en dit long sur la potentialité de Naruto. Les Shônens à succès, généralement édités auprès de la Shueisha semblaient s'adresser à un public très jeune autrefois. C'était plutôt enfantin, pétris de bons sentiments et... assez bas de gamme sur tous les plans. Des personnages unidimensionnels et sans réel attrait étant d'un manga à l'autre un parfait copier-coller les uns des autres, le tout amené dans une intrigue bateau elle aussi formatée en série.

Mais parfois, un auteur ici et là venait et, à son corps défendant, révolutionnait le genre. Alors les lecteurs devenaient plus exigeants. Difficiles de faire manger de la merde à un bétail habitué au caviar.


La jeunesse d'autrefois était plutôt innocente et se contentait de peu. Essayez aujourd'hui de vendre ce que publiait le Shônen Weekly Jump durant les années soixante-dix à des jeunes des douze ans contemporains. Bon courage.

Cet aparté pour souligner que la jeunesse, au niveau de la dégustation de certaines fictions, a gagné en maturité. Un enfant de douze ans aujourd'hui n'a plus rien à voir avec un garçon du même âge il y a quarante ans de cela en terme de goûts. Le Shônen de demain se devait d'incliner légèrement vers le Seinen pour s'adapter à son public. Death Note en est le plus remarquable exemple.


Kishimoto est à mon sens l'auteur qui aurait pu impulser un renouveau du Shônen grâce à Naruto ; offrant un contenu toujours destiné à un public particulièrement jeune, mais capable de lui apporter un semblant de complexité et de gravité dans le ton de son œuvre pour le sortir des sentiers battus. Car si le genre s'était bien renouvelé et avait fait plusieurs mues depuis les années soixante-dix, l'audace manquait pour sortir de la monotonie du Shônen nekketsu à succès.


Et Naruto survint avec ses promesses. Une règle spécifique des shinobis précise qu'un ninja ne pleure pas. On allait peut-être s'émanciper enfin des relations superficielles entre personnages qui sont amis pour la vie parce que l'auteur l'a dit. Le monde fantasmé des shinobis selon Kishimoto offrait un curieux mélange de société traditionnelle imprégné dans une modernité, le tout, en parfaite harmonie. Il n'était pas question d'implémenter bêtement des ninjas dans un monde contemporain, mais d'appliquer une mentalité contemporaine à un monde qui ne était perdu entre le nôtre et un ordre ancien.


Le mélange était savoureux.


On se gausse toujours du lugubre Sasuke dont la complexité du personnage a été largement éludée (oui, j'ose !) mais qui n'est au final - malgré ses capacités - qu'un enfant immature refusant de grandir. Ce qui fait sa richesse.
Sa confrontation avec Naruto sur le toit de l'hôpital sur fond d'une jalousie infantile suivi de sa discussion avec Kakashi est sans doute un des moments les plus forts du manga (Tome 19 ou 20). Il lui est proposé d'abandonner cette vengeance puérile qui ne mène à rien et de grandir. De faire preuve de maturité et d'aller de l'avant. Sasuke ne grandira pas et le manga n'en sortira pas grandi non plus.


Mais avant que ne survienne le lent pourrissement qui aboutira à un stade de décomposition jamais connu jusqu'à lors, souvenons-nous de ce que fut Naruto. Un manga à l'univers bien construit où les confrontations ne se limitaient pas à l'invocation du pouvoir de l'amitié et de la force brute et surtout, où les personnages secondaires étaient légions et avaient droit chacun à leur développement.


Oui, souvenez-vous de ces compagnons de Naruto qui, avant d'être relégués au rang de supporters chargés de crier «Vas-y Naruto ! Tu peux y arriver pendant que nous ne servons à rien !» avaient leur caractère et leurs moments à eux. Il faudra creuser votre mémoire, car Dieu sait que cette période remonte à loin dans le manga.

La richesse des personnages secondaires durant l'arc de l'examen Chuunin m'a époustouflé. Jamais je ne vomirai assez ces relations humaines simplistes dans les Shônen, débordant souvent de mièvrerie et de bons sentiments à défaut de crédibilité. Tous ont leurs aspirations et plus important encore, leur rôle. Cela durera jusqu'à la fin de l'arc de la poursuite de Sasuke avant de s'essouffler brutalement. Passé le cap, les personnages secondaires ne justifieront plus leur existence que par l'usage d'un jutsu particulier leur étant propre. Ils étaient des individus avec des personnalités développés : ils sont devenus des outils aux caractéristiques restreintes.

Je pense à Shino qui passe d'un personnage taiseux, tempéré, humble et sage à un sujet de plaisanterie au tempérament effacé.


Je pense à Neji, le drame de sa situation au sein de son clan, sa fierté et son sens de la fatalité, devenu le type qui voit à trois-cents-soixante degrés et qui ne provoquera aucun sentiment à sa mort tant il a été oublié toutes ces années.


Je pense à Shikamaru, paresseux, lâche, sans volonté, un brin chafouin qui sous-estime son potentiel dément et qui souffrira de son échec lors de sa première mission de Chuunin pour devenir le gars avec les ombres.


Je pense à Chôji qui, comme Naruto, Kiba et Shikamaru, faisait partie des derniers de la classe. Insignifiant, il est juste le petit gros dont tout le monde se fout et qui cherchera à se révéler par son sens de la fidélité et du sacrifice. Il deviendra le gros qui fait des roulades.
Je pense à eux et à tant d'autres. La liste des longue, car les personnages secondaires riches étaient légions.


Là où beaucoup d'auteurs se reposent sur leurs acquis et laissent l'embarcation avancer toute seule (pour finir par chavirer), Kishimoto a changé brutalement de cap suite au tome vingt-sept. J'ignore s'il s'agissait de sa décision ou celle de son responsable éditorial, s'il fut décisionnaire ou bien complice, mais il fut responsable du naufrage de l'un des shônens les plus prometteurs de la décennie.


Car passé l'ellipse (mais si, vous savez, cette grosse ficelle scénaristique employée par tous les auteurs médiocres pour justifier un gain de puissance de leurs personnages, chambouler artificiellement l'intrigue et ne plus faire que de la baston à pas cher. Vous situez ?), le festival de la connerie permanente commence. Et l'hémorragie de Naruto à compter de cette date sera longue. Particulièrement éprouvante, même.


Je crois que j'ai définitivement fait le deuil de ce que fut Naruto durant sa première partie à compter du jour où, sorti des buissons, Naruto a pondu rasen-Shuriken capable d'ôter plusieurs vies à Kakuzu. C'est à cet instant précis que j'ai jeté une rose sur son cercueil.

Inutile de détailler le désastre en long en large et en travers, ce serait trop long et douloureux. Entre Kyubi devenu un renard domestique, Pain qui ramène tout le monde à la vie et la pauvreté des combats relégués à du «paf, paf, boum, boum», je pense que tout le monde s'accordera pour établir que déconnade il y a eu. Et pas qu'un peu.


C'est d'autant plus écœurant que Naruto n'était pas un Shônen bas-de-gamme dont on pouvait se foutre, mais réellement celui qui aurait pu renouveler le genre Shônen en ajoutant un semblant de complexité au niveau de l'élaboration des personnages secondaires, des affrontements et de l'intrigue, pour au final céder à la facilité et s'immerger dans le bain de médiocrité que représente le genre Shônen nekketsu aujourd'hui. À l'exception de Hunter x Hunter, Graal insoupçonné et salutaire venu nous tirer vers le haut pour nous sortir de ce bain de boue dont l'odeur, à force qu'on s'y éprouve, nous conduit à penser qu'il ne s'agit pas que de boue.


Naruto a été écrit de la main droite puis, progressivement, de la main gauche. Et le scénariste n'était vraisemblablement pas ambidextre. Là est le ressenti à la lecture.

Même le dessin, autrefois plus élaboré, rattaché au genre Seinen, est devenu au fur et à mesure plus simpliste, les traits plus proprets, le style autrement plus impersonnel. La déchéance s'imposait sur tous les plans.


Puis, le coup de grâce. Il s'était fait attendre, car bon nombre de lecteurs l'espéraient depuis des années. Qu'on abrège les souffrances d'une bête qui fut autrefois si glorieuse. Et là, le bouquet final. Tel et tel personnage finissent mariés alors qu'aucune affinité n'avait été démontrée entre eux de tout le long de l'histoire. On trouve une place à chaque personnage secondaire comme un lot de consolation digne d'un peigne offert à un chauve pour dire que. Et cerise sur le gâteau : des buildings se construisent sur le sommet du mont sur lequel sont sculptés les visages de chaque Hokage.


Et je crois que l'on tient là la parfaite allégorie de ce qu'est devenu Naruto. Le village de Konoha se voulait traditionnel dans sa structure mais il finira par céder aux sirènes de la modernité, de la laideur d'un monde nouveau autrement plus médiocre que l'ancien, jusqu'à renoncer à être ce qu'il avait été. Se renier.
Comme si l'inconscient de Kishimoto avait tenté de nous communiquer l'horreur de la mort de son manga. Car il n'y a rien de réjouissant à voir d'hideux bâtiments froids et sans vie être érigés comme d'immondes champignons vénéneux au sommet de ce que le village avait de plus illustre. Une montagne de fiente sur une gemme en cristal qui ne demandait qu'à être polie afin de devenir l'un des plus beaux joyaux du monde. C'est à cela que pourrait être résumé Naruto. La plus belle promesse la moins bien tenue du monde du Shônen.

Josselin-B
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le 22 déc. 2023

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Josselin Bigaut

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