J'ai, quelquefois, la sensation de ne pas avoir su apprécier ce manga à sa juste valeur. Certaines qualités y sont présentes, mais j'ai trop dû chercher pour les apprécier. Maintes fois ses fanatiques me les auront répétées, brandies sous le nez, à grandes exclamations courroucées. Mais Naruto n'aura su toucher ma sensibilité.
Dans un univers séparé en plusieurs pays ninjas doté de pouvoirs, l'histoire se centre à Konoha, où nous suivons Naruto, jeune orphelin considéré comme un raté et rejeté de la population. La raison de ce mépris ne se fera pas attendre: il est réceptacle de Kyûbi, un dangereux démon, scellé des années plus tôt pour éviter la dévastation de Konoha. Déjà, les incohérences sont criantes: Naruto ne devrait-il pas être honoré? Et même en mettant ça sur le dos d'une bête nature humaine sujette à la discrimination de ce qui l'effraie, quel est l'intérêt de le lui cacher? Pour lui permettre une vie normale, peut-être, sauf que le gamin n'aura PAS une vie normale avec ça en lui. Et encore moins si tous s'évertuent à ne pas lui prêter la moindre attention. Et sachant que Naruto peut devenir en un claquement de doigts une arme de destruction massive, personnellement, j'aurais fait en sorte qu'il se rallie à ma cause.
Mais notre blondinet ravale ses larmes et multiplie bêtise sur bêtise pour attirer l'attention. Son objectif ultime, dont on n'aura jamais le moindre doute sur le fait qu'il s'accomplira, est de devenir Hokage, le dirigeant de Konoha. Les situations qui découlent de sa facette enfantine sont parfois pertinentes. Je pense notamment à la fameuse scène de départ où il dessine sur le visage sculpté des Hokage, montrant son irrespect et sa conviction de faire mieux. Dommage que cela se soit terminé en fanservice gratuit qui lui, ne m'aura pas tiré le moindre sourire.
Le premier arc se déroule, et j'ai la conviction d'être face à, tout simplement, un mauvais manga. Les larmes de Naruto face à la déclaration d'Iruka selon quoi il est un vrai membre de Konoha arrivent trop tôt dans le déroulement de l'histoire pour m'émouvoir. L'humour est bancal: Sasuke et Naruto qui s'embrassent malencontreusement, c'est en effet une blague, mais pas une bonne. Le premier antagoniste Mizuki se limitera à rire méchamment après avoir essayé de piéger le pauvre héros, afin de découler sur une scène convenue où celui-ci apprendra la vérité sur lui-même. Je n'ai pas vu le génie dont on m'a bassiné en Zabuza, car il ne suffit pas de doter d'émotions un méchant à la dernière seconde pour le rendre ambigu.
Quant aux trois personnages principaux, l'image que j'ai eue d'eux dans les premières minutes ne variera hélas pas d'un pouce au fur et à mesure de mon avancement:
- Naruto, malgré les centaines de chapitres dont il est le héros, sera éternellement ce garçon sans nuances, qui représente le bien et la persévérance sans réalisme aucun. Jamais il ne dévie de ses convictions, jamais la défaite n'est au programme, il est le Bien qui n'admet aucune contestation - et ceux qui osent, il les ramène à la raison par une raclée puis un sermon. Certes, le réalisme n'était pas une attente que j'avais en entamant ma lecture, mais j'espérais malgré tout que pour un manga qui traite de la guerre sans faire tout-blanc tout-noir, comme en témoigne Pain, il se retrouverait dans une situation qui le ferait douter de ses convictions. Non, non, non, il suivra toujours la voie - la bonne, la vraie, l'unique.
- Sakura mérite-t-elle seulement d'être considérée comme un des personnages principaux? Je sais que je touche au sujet de la femme dans le shonen, qui est plus que délicat, mais... un peu de respect pour sa propre création, est-ce trop demander à l'auteur? De A à Z, son rêve ne bougera pas d'un pouce: être avec Sasuke (qui lui, sait à peine qu'elle existe). Qu'elle soit en retrait et plus faible que ses comparses masculins, c'est un choix de l'auteur que personne n'a à redire, malgré la ridicule tendance actuelle qui pousse à égaliser numériquement les sexes. Que son seul et unique point de personnalité tourne autour du fait qu'elle est amoureuse, ça, ça me dérange. D'autant plus que Sasuke lui adresse à peine la parole, l'abandonne, essaie de la tuer, la méprise ouvertement, et jamais elle ne se résoudra à faire une croix sur lui. J'avais espéré un développement lors de l'ellipse: elle devenait disciple de l'Hokage, j'espérais un retour en force. Mais l'auteur aura préféré une mini-Tsunade, qui donne de gros coups de poings et a des capacités de médecins, sans rien pour la distinguer.
Parce que, sérieux... "C'est Sakura la plus proche du titre de Hokage" (chapitre 18), qui y a cru?
- Sasuke... Ah, Sasuke, un des personnages pour lequel j'ai le plus d'antipathie tout mangas confondus. Tout en lui m'insupporte, celui qui se croit au-dessus de tout sans réaliser que sans son Sharingan il n'est rien. Je le hais d'autant plus que la narration fera toujours de lui une priorité. Passé sa confrontation finale avec son frère, l'auteur ne saura plus quoi faire de lui, et le gérera remarquablement mal, lui donnant des objectifs incohérents qui changent tous les chapitres. Allant de détruire Konoha à devenir Hokage, en passant par l'assassinat de Danzo, l'auteur n'avait pas réfléchi jusque là, et... ça se ressent à la lecture.
En revanche, je trouve sa relation avec Itachi remarquable, mais à mon sens, c'est l'aîné qui est la base de tout intérêt.
La balise spoiler est-elle vraiment nécessaire pour évoquer la révélation sur les actions d'Itachi? Celui que je prenais pour un méchant de ce qu'on a de plus commun, finalement un héros dévoué qui a massacré son clan et tué ceux qu'il aimait pour sauver son village. Le retournement de situation dont je ne savais rien, qui m'aura laissée pantoise d'admiration envers cet auteur qui ose faire tomber un des piliers de sa série. Car si la quête de Naruto est de retrouver Sasuke, la quête de Sasuke est de se venger d'Itachi, ce qui fait de lui un des points principaux.
J'ai révisé mon opinion de Naruto à l'arc de l'examen des Chûnins. Un paquet de personnages secondaires introduits d'un coup, dont la plupart n'auront pas su me charmer (comme Choji, ou la détestable Ino), mais certains rares ont attiré mon attention: Shikamaru, ou Rock Lee. J'ai apprécié, sans plus, Neji, mais ait reconnu en lui une bonne plume, à travers sa désillusion du monde et son désespoir face à son destin. De même pour Gaara, renfermé et fou furieux, le symbole de ce qu'aurait pu devenir Naruto et de ce qu'est destiné à devenir un humain considéré comme un monstre.
Les examens de cet arc sont réellement intéressants, surtout la première épreuve qui est une façon habile de dévoiler les pouvoirs des uns et des autres au lecteur tout en les forçant à utiliser leur intellect. Combinez-y une épreuve de courage dissimulée après avoir mis les concurrents sous pression, et le rendu est savoureux.
La seconde épreuve est dans la continuité de la première: après avoir introduit les personnages, c'est l'heure de les faire se confronter, créer des alliances et des rivalités, placer les pions pour une trahison, sans oublier de faire avancer l'intrigue par le biais de l'arrivée d'Orochimaru.
Et la dernière, un basique tournoi de un contre un, a achevé de me démontrer le talent désormais certain de l'auteur par un retour à la facette la plus brute du shonen: le combat. L'arc de Nami no Kuni avait déjà fait preuve d'une certaine habileté, et surtout de réflexion, chose rare. Il faut comprendre le pouvoir de l'ennemi, rivaliser d'ingéniosité pour le parer, et prendre le dessus grâce à ses propres techniques. Gaara vs Rock Lee est émouvant car il est la destruction des efforts de Lee, Neji vs Naruto est une opposition de points de vue. Shikamaru vs Temari est particulièrement fascinant car il concentre très peu de coups, et n'est qu'un enchaînement de démarches et de tentatives, mais reste passionnant tout le long, et mène à une conclusion surprenante. J'ai parfois déploré les petits schémas explicatifs qui intervenaient au milieu de l'action et venaient briser le rythme, mais je comprends qu'ils étaient nécessaires à la stratégie voulue.
Cette partie de la série est ma préférée: j'ai largement moins accroché à ce qui suit, tout en le trouvant suffisamment appréciable pour que je continue ma lecture d'un œil vaguement intéressé. L'Akatsuki a des personnages charismatiques et intrigants, les secondaires continuent à être exploités, et certaines scènes sont marquantes. Je pense surtout à la confrontation Sasuke-Kakashi, ou le premier vomit sa colère en répétant son désir de vengeance, ce à quoi Kakashi répond placidement que lui aussi a vu ceux qu'il aime se faire tuer mais qu'il n'a pas cherché à continuer le cycle de haine. La narration, les répliques, les expressions, tout présente l'opposition entre les deux points de vue - celui qui accepte le deuil et celui qui le refuse.
Ainsi, l'auteur trace sa route jusqu'à l'ellipse, avec de l'ambition mais pas trop non plus. Puis ce fut, sans autre terme, la mort de Naruto.
Après l'ellipse, oubliez tout ce que j'ai pu dire de positif. Ce qui avait fait le charisme de la première partie, ce que j'avais aimé malgré une mauvaise première impression, rien n'en reste.
Les personnages secondaires dont j'ai vanté la mise en valeur s'effaceront et leur développement sera brutalement interrompu. Naruto deviendra et restera jusqu'à la fin le seul et unique héros, la solution à tout, qui renversera les situations en la faveur de Konoha sans jamais faillir au rôle. Comme dans l'arc Pain: tout était perdu, Konoha anéanti, jusqu'à son glorieux retour qui fera pencher la situation en la faveur de son village. C'est bien dommage, car Pain bénéficiait d'une écriture correcte - probablement la meilleure post-ellipse. Ses amis seront réduits à quelque cases sur le bas-côté, à le regarder et à répéter qu'il est leur dernier espoir.
Quant à la stratégie que j'avais aimée... on passera à un basique celui-qui-tape-le-plus-fort-gagne. La démesure deviendra la marque de la série, à commencer par les innombrables évolutions du Rasengan. La narration perd sa force, les antagonistes leur charisme, la qualité baisse graduellement avec parfois des tentatives de percée... jusqu'à arriver à l'arc final.
Les mots me manquent face à la débâcle dont j'ai été témoin. J'ai beau jeter de la terre à pleines pelles sur la tombe, la chose continue de vouloir sortir, pousse le couvercle du cercueil, j'entends ses râles et je ne comprends pas pourquoi elle s'obstine.
Faute de vouloir écrire de nouveaux antagonistes, Kishimoto fera revenir les morts, ôtant ainsi toute l'émotion liée à leur fin. Cela dit, quand il tentera d'innover, ce sera encore pire, donc peut-être n'était-ce pas une si mauvaise idée: le méchant final, une extraterrestre impersonnelle inventée en dernière minute pour offrir aux ennemis précédents l'occasion de se racheter.
Obito, je le rappelle, a tué Neji et est à l'origine de la guerre. Je ne peux concevoir ni accepter le pardon que lui donne Naruto.
Kyûbi était intriguant. Rarement il parle, il intervient encore moins. Créature de haine et de rancœur, il succombera à son tour au pouvoir de l'amitié, alors qu'il était LE personnage qui je l'espérais demeurerait tel quel. Sans même parler de ce discours vomitif sur la liberté des démons à queue.
Je pourrais continuer à développer la liste: la maudite apparition du père de Naruto, la mise en scène fade, les flash-backs dont on n'a que faire, les couples créés en dernière minute car il fallait bien sortir Boruto, les multiples apparitions des figures historiques (comme l'Ermite Rikudo ou Madara...) qui ont tué les légendes... L'auteur non content d'avoir tué son œuvre l'a en plus éventrée, répandu ses organes sur le sol, les a piétinés, puis a décidé de tout refoutre dans la peau et a présenté ça même pas recousu aux lecteurs.
Trois étoiles, c'est pas énorme, mais c'est à la hauteur de ce que j'ai ressenti. Une bonne période relativement courte, que j'aurais pu choisir de négliger car c'est infime sur les 700 chapitres: mais deux étoiles n'aurait pas été représentatif de l'intérêt que j'ai pu éprouver dans les bonnes heures. Naruto, y a du mauvais mais pas que. Ça se veut ingénieux, ça l'est pas vraiment... mais quand l'auteur sait ce qu'il fait, ça vaut le coup.
Un grand classique certes surcoté, mais qui n'a pas usurpé l'entièreté de son nom.