"Ce monde est pourtant si beau"
Et voila, 7 tomes lus d'affilée, et, après la dernière page, la sensation d'avoir vu passer devant mes yeux une épopée comme rarement on en rencontre ! Je trouve en Nausicaä de nombreux points communs et une veine commune avec le Seigneur des Anneaux : une aventure dans une guerre et un monde qui dépasse un personnage que l'on croyait insignifiant et qui deviendra le centre de toutes les attentions. Les traits principaux de ce personnage seront son innocence et sa volonté d'accomplir sa tâche, essentielle pour la sauvegarde du monde. Il rencontrera des protagonistes, alliés ou ennemis, à première vue beaucoup plus importants et puissants, mais finalement déférents.
"La grandeur d'une âme est déterminée par la profondeur de ses souffrances"
Nausicaä, c'est une jeune femme, princesse (fille du roi) d'une petite contrée dans ce qu'il reste d'une terre frappée par une apocalypse, les Sept Jours de Feu, l'extinction meurtière de la civilisation industrielle. La Terre est presque complètement recouverte par une forêt toxique dans laquelle on ne peut entrer sans de lourdes protections et vivent des animaux pas très cordiaux. Les ancêtres de Nausicaä ayant signé un pacte avec le puissant empire Tolmèque, elle doit mener son peuple parmi l'armée de ce dernier dans une grande guerre contre l'empire Dork, l'autre grande puissance. S'ensuivra une succession de découvertes sur l'origine de la forêt, le sens de cette vie de reclus, les très ténues différences entre le bien et le mal, le sacrifice, la dette écologique des anciennes civilisations, et tant d'autres sujets.
Nausicaä a pour particularité une totale empathie pour tous les être vivants, un courage hors-norme et une absence de peur, ingrédients d'un "coeur pur" qui fera d'elle une sorte de messie. Mais elle va en chier la petite !
La guerre y est présentée telle qu'elle est, sans méchant ni gentil, avec des victimes civiles collatérales, des soldats qui savent à peine pourquoi ils se battent, d'ailleurs au bout d'un moment on ne sait même plus quel prétexte a servi à démarrer ce conflit et pourquoi il perdure. Nausicaä naviguera dans les deux camps, trouvant le bon chez ses ennemis, le mal chez ses alliés, renversera les certitudes de bon nombre de convaincus, dont les nôtres. Miyazaki fait s'affronter deux grands empires, l'un dirigé par une famille royale dont tout membre ferait bien de vérifier le verre qu'on lui tend, l'autre par un empereur mystérieux aux pouvoirs paranormaux et associé à une assemblée de bonzes. L'occasion de parler de religion d'état et de croyances millénaires, de sociétés fondées sur des prophéties tenant sur des Post-It.
"Voila donc notre châtiment pour avoir osé jouer avec la vie"
Mais le gros morceau, comme souvent chez Miyazaki, c'est la place de l'Homme dans la nature, ses droits, ses devoirs, et ses conneries. Et le rapport de la technologie à la nature. La Terre a été ravagée lors des Sept Jours de Feu, par des Dieux-Guerriers fabriqués par l'Homme lui-même (petite métaphore de la Bombe H, je précise si besoin). Il en reste un monde toxique, rempli de miasmes mortels en quelques secondes. Mais comme on a pas encore bien compris, on reprend les mauvaises habitudes et on s'amuse à se rendre immortel, à fabriquer des créatures pas jolies mais fort pratiques, à hybrider quitte à se mettre en danger. Et difficile de parler de toutes les pistes de réflexion sans spolier !
J'arrête là avec tout ce que Hayao a pu placer comme réflexions dans ces quelques 1000 planches et je passe à la forme. C'est dense, il y a du texte, c'est beau, on alterne entre des scènes de batailles épiques et des cases contemplatives d'une incroyable tranquillité. Est-il utile de préciser que dans les deux cas il s'agit d'un travail superbe ?
Certes, certaines cases sont difficiles à lire, mais l'ensemble coule tout seul. Le plus difficile désormais est de réussir à se le procurer !