Cet album est le premier d’une série en 4 épisodes. Julien Boisvert est un jeune homme de bonne famille à l’allure juvénile, blondinet (front déjà un peu dégarni et quelques taches de rousseur), qui dit vous à sa mère et joue au poker avec ses voisines de palier (des mamies enjouées), en misant des sablés (les petits gâteaux). Sa mère est une bourgeoise aussi charmante qu’insupportable qui ne lui a jamais appris à aimer. Julien a un chien nommé Gilbert, un basset artésien (confirmation dans l’épisode 4) que Michel Plessix se plait vraiment à dessiner sous tous les angles pour lui donner des airs inimitables en mettant son museau en avant (le duo se déplace en side-car). Julien travaille comme responsable des relations publiques dans une administration au fonctionnement assez lourd, l’OPIC (Office de Protection Internationale des Cultures) et son supérieur, monsieur de Rougemont a la tête de Jacques Chirac jeune. La mission qu’il réussit in extremis à obtenir : surveiller le déplacement d’une tribu Fuldaabé menacée de famine quelque part en Afrique.
Sur place, l’atterrissage est brutal et la situation complexe. A peine sorti de l’adolescence (sa lecture favorite : Salut les copains), Julien va devoir faire face à l’inconnu. Il y a le terrain, les membres de la tribu Fuldaabé, mais aussi les européens qui voyageaient avec lui. Si l’un d’eux semble inoffensif puisque surtout préoccupé de musique (il bichonne son orgue), il n’en est pas de même des autres. Après un incendie (causes ?), des militaires (apparemment européens) surgissent pour diriger le déplacement de la tribu. Dans cette tribu, la belle Djuma (mère de la petite Kebi) fait les yeux doux à Julien.
En 44 planches, le tendre Julien Boisvert passe du petit monde confortable de sa jeunesse aux réalités du monde. S’il découvre l’amour, il apprend également que dans la vie il faut régulièrement faire des choix, parfois cruels. Son horizon s’élargit, ce ne sera pas sans sacrifice.
Le scénario élaboré conjointement par Michel Plessix (le dessinateur) et Dieter est franchement bien conçu. Le lecteur accroche d’emblée par la description humoristique de l’univers de Julien, ainsi que la situation avec laquelle il devra composer en Afrique. Les événements s’enchainent de façon très logique jusqu’à l’inévitable explosion. Et si Julien s’en sortira, il en concevra une amertume qui le fera mûrir en lui ôtant la part d’innocence qu’il conservait.
Par l’élégance et la finesse de son trait, Michel Plessix donne vie aux personnages. L’élaboration du scénario en duo contribue à la réussite de l’album où les planches mettent aussi bien en avant des paysages que des détails et des postures. Les tailles et formes des vignettes sont très variées, avec un beau sens de l’organisation au service d’une narration conçue avec maîtrise. Les visages sont soignés, chacun ayant sa personnalité propre. Les mouvements (voir les scènes d’action notamment) et les humeurs des personnages se sentent parfaitement. Léger bémol avec les couleurs (signées Isabelle Rabarot) qui sont un peu claires. La jeunesse de Julien est bien rendue. Particularité, les dialogues sont en caractères manuscrits et une narration est présentée en écriture manuscrite également, permettant un certain recul par rapport à ce que vit Julien. Les Fuldaabés l’appellent Neêkibo (avec ou sans majuscule, comme le titre de l’album, selon les moments), il n’en aura l’explication qu’à la fin, par un vieux sage de la tribu. C’est également à la fin de l’album que le lecteur trouve un lexique indiquant la signification des mots utilisés par les Fuldaabés, ce qui ne gêne pas la compréhension de l’album et incite à le relire.
L’album est donc une réussite, même si la partie africaine, trop courte, mériterait un meilleur développement. Cette aventure voit le papillon Julien sortir de sa chrysalide et se confronter aux réalités du monde, ce qu’il fera dans la suite de la série. On peut faire le parallèle avec le monde de la BD franco-belge devenu adulte (l’album date de 1989), la vision de l’Afrique étant à cent lieues de celle présentée par Hergé dans Tintin au Congo (1931 pour la première parution, en noir et blanc).