Vous avez peut-être entendu parlez du Nécronomicon, le livre écrit par l’ermite fou Abdul al-Hazred ?
Il s’agit en fait d’une création de l’auteur américain H.P. Lovecraft. Cet auteur, qui ne connu pas le succès de son vivant, à tellement influencé l’écriture du Fantastique moderne, que pas un auteur actuel du genre ne s’en réclame un minimum, ne reconnait son influence, et ne loue la force évocatrice des ses histoires. Le Nécronomicon, est un exemple parfait de cette force, puisque cette invention, cette fiction pure n’a jamais existé, mais que nombre de gens (encore aujourd’hui) croient que ce livre existe vraiment.
Lorsque l’univers imaginaire d’une telle Autorité est repris par un autre géant de la création artistique, le résultat promettait d’être grandiose. Alan Moore, considéré comme un génie du Comics (auteur entre-autre de Watchmen), et soutenu au dessin par un Jacen Burrows inspiré, reprend ainsi des éléments de l’œuvre de Lovecraft, pour les inclure dans une histoire entre thriller et fantastique horrifique, au contact d’éléments tirés de la cosmogonie de dieux malveillants crées par Lovecraft.
Composée de deux parties distinctes, la première histoire (Côté Cour) s’ouvre sur un Brooklyn en fête, où l’agent du FBI Aldo Sax enquête sur une série de crimes apparemment sans lien, mais particulièrement atroces. Les profils habituels ne donnent rien, les cadres classiques sont explosés, c’est d’ailleurs pour cela que l’on a fait appel à lui. Sax est un spécialiste des théories des anomalies, il est capable de faire des liens entre des crimes apparemment sans rapport, d’en décortiquer tous les indices pour en extraire les fragments les plus obscurs et dérangeants, et penser à l’improbable. Entre crimes atroces, musique bruitiste, nouvelles drogues, jeunesse décadente, et cultes lovecraftiens, l’ambiance pesante se met peu à peu en place, et Sax commence à faire des rapprochements et remonter une piste vers le Club Zothique.
La seconde partie Neonomicon, nous fait découvrir deux nouveaux agents du FBI, Gordon Lampers et Merril Brears, en train d’interroger leur ex-collègue Sax transfiguré en un immonde meurtrier découpant les gens en morceaux pour les sculpter ensuite en tulipe de chairs et de sang. Ils vont tenter de remonter les faits qui ont amené cet enquêteur pourtant aguerri à devenir un espèce de psychopathe s’exprimant ,je cite ,« comme s’il avait un poulpe dans la bouche », et reprendre donc là où Sax s’était rendu, le Club Zothique.
Neonomicon est un comics passionnant à lire, mais en même temps un peu frustrant. La force de Lovecraft dans ses récits s’est de vous faire concevoir, entrevoir, apercevoir, suggérer sans jamais vous laisser véritablement voir, il vous laisse en quelque sorte sur le seuil, à la lisière, plein de questions insolubles, et d’appréhension, et vous offre le soin éventuellement d’imaginer et de combler les blancs, mais ce sera toujours une expérience personnelle. Lovecraft a su développer une mythologie qui lui est propre, mais faite de déités extra-terrestres malfaisantes et cosmiques, et donc par conséquent totalement inconnues et effrayantes.
Avec Alan Moore et Jason Burrows, peu de choses sont suggérées, et en dehors du chapitre d’introduction (particulièrement bien construit), tout y est plutôt cru, violent et ostensiblement affiché. De plus on voit dans cette histoire, certaines des thématiques de Moore mis en avant, comme une sexualité débridée (thématique totalement absente de l’œuvre de Lovecraft, quelqu’un pour qui le sexe était plus une corvée qu’autre chose). Mais mettre en image un genre particulièrement psychologique et suggestif, n’est pas une mince affaire et malgré tout la voie choisie par les auteurs fait quand même son effet. Et les dessins de Jacen Burrows y sont pour beaucoup, avec son trait réaliste, froid, clinique et parfaitement adapté à la mise en image d’un scénario où l’indifférence, le vice, la corruption, la folie, l’angoisse et l’horreur s’y disputent la place de l’émotion la plus prégnante.
Même en s’éloignant des canons de Lovecraft, (et ce n’est pas plus mal, c’est faire preuve d’une forme d’appropriation du sujet), Neonomicon parvient à procurer certains des frissons lovecraftiens, une forme d'angoisse, une sorte de répugnance, et surtout cette idée que certaines choses sont tellement loin de notre entendement qu’elles nous confinent à la folie, et à l’anéantissement.