Neuf
6.8
Neuf

BD franco-belge de Philippe Pelaez et Guénaël Grabowski (2024)

Exploration du système solaire

Ce one shot signé Philippe Pelaez (scénario) et Guénaël Grabowski (dessin), sans oublier Denis Béchu (couleurs), nous plonge dans l’univers de la conquête spatiale, en pimentant le tout par un aspect fantastique plutôt bienvenu.


Le personnage central, Johnny C. Hubel (discrète référence au télescope de Hubble) a vu son père mourir dans des circonstances dramatiques alors que lui-même était tout jeune. En effet, l’astronaute faisait partie de l’équipage d’une navette spatiale qui a tout de Challenger. Pour rappel, le 28 janvier 1986, Challenger explosa et se désintégra peu après son décollage, provoquant la mort instantanée des sept membres de son équipage, au yeux médusés d’un nombreux public venu sur place, Cap Canaveral. Parmi eux, de nombreux écoliers venus spécialement encourager l’enseignante Christa McAulife choisie par la NASA pour devenir la première civile de l’espace. Johnny qui vénérait son père, se jure de suivre ses traces. Dans son esprit, il s’agit ni plus ni moins que de le retrouver. La lecture de l’album permet de comprendre progressivement ce qu’il entend par là.


Un système avec neuf planètes


Devenu un jeune adulte, Johnny impressionne ses professeurs par ses capacités, pas seulement physiques. Son but de devenir astronaute se précise, puisqu’il ambitionne de devenir le premier homme sur la planète Neuf. Ici nous avons une référence à un mythe de l’exploration spatiale, puisqu’il est question du déclassement (2006) de Pluton comme planète, en raison de sa trop petite taille. Mais il est aussi question de la façon dont les planètes sont découvertes. En effet, l’identification de la planète Neptune ne fut d’abord certifiée que par le calcul. L’observation des mouvements des corps célestes dans le système solaire et l’influence que les uns exercent sur les autres conduisirent le mathématicien et astronome Français Urbain Le Verrier (1811-1877) à prédire l’existence et la trajectoire de Neptune avant d’avoir pu l’observer au télescope. C’est par ce même raisonnement que les protagonistes de l’album affirment l’existence de cette planète Neuf et montent une expédition pour la découvrir. Ici, le scénario atteint ses limites, car le déclassement de Pluton ne change rien à l’ordonnancement du système solaire qui n’a aucunement besoin de comprendre neuf planètes. A vrai dire peu importe, car les bases scientifiques sont ici assez solides pour apporter la crédibilité nécessaire, y compris le système de propulsion qualifié de quantique (un mot dont on devra se contenter) pour justifier l’exploration humaine au-delà de Mars ou Vénus. L’album nous place donc en situation futuriste bien plus que de Science-Fiction.


Voyageurs temporels


Johnny constate qu’après certains événements extrêmes, à son corps défendant il effectue de brusques sauts dans le temps qui le ramènent des années en arrière. Il réalise aussi que cela lui apporte la faculté de faire de nouveaux choix lorsqu’il arrive aux moments clé de sa vie. Si ces choix lui permettent d’éviter certaines catastrophes personnelles, on constate que les auteurs négligent d’explorer les conséquences d’une modification du cours des choses.


Ainsi, il n’est jamais question du paradoxe du grand-père qui s’énonce ainsi « Si un voyageur temporel rencontre son propre grand-père, qui n’a alors pas d’enfant, et le tue, alors ce voyageur ne peut pas exister ». Ce qui sous-entend à mon sens que si un voyage dans le temps s’avérait possible (sait-on jamais) on peut exclure toute possibilité de modifier le cours des choses. Voilà pourquoi je considère que l’album tire davantage vers le fantastique que la Science-Fiction, malgré une ambiance et des thèmes qui font écho notamment au film Ad Astra (James Gray – 2019).


Bilan de lecture


Ceci posé, l’album se lit bien et non sans intérêt. Et s’il déconcerte un peu par ses nombreux sauts dans le temps, ceux-ci se justifient largement par ce que vit Johnny. Ils ne perturbent pas la lecture, car ils sont bien pensés pour apporter à chaque fois des éléments nouveaux. Et, dès lors qu’il a bien compris ce que sa particularité lui permet, Johnny considère qu’il peut aller au bout de son rêve. De fait, rien ne pourra l’arrêter. D’un style bien léché, le dessin est bien mis en valeur par l’organisation générale des planches, avec quelques beaux dessins de grands formats, mais surtout un ensemble au service d’un scénario dont l’originalité ne se dément jamais. A noter que l’album profite d’un format relativement large qui apporte la sensation d’espace adaptée au thème principal. Le personnage de Johnny est franchement privilégié par rapport à tous les autres. Son caractère s’affirme très tôt et on le voit à l’âge de son drame familial, braver un interdit pourtant pas du tout anodin de son père. Il lui faudra néanmoins atteindre l’âge adulte pour aller au bout de ses capacités. Mais l’ensemble de ses qualités lui valent un œil neuf ( ! ) pour aborder l’étape qui marque son objectif majeur, celui pour lequel il vit depuis son enfance. Le scénario lui réserve un certain nombre de rencontres qui le marquent et qui nous permettent de mieux cerner ses réelles capacités. Par contre, le découpage de l’album en chapitres annoncés par des numéros en .9 apparait comme une tentative artificielle de créer une symbolique autour de ce chiffre 9, alors qu’on pouvait s’attendre à trouver 9 chapitres de 9 planches chacun, ce qui n’est pas le cas.


Critique parue initialement sur LeMagduCiné

Electron
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le 14 juil. 2024

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