Critique initialement publiée sur exitmusik.fr


Sur un pitch, avouons-le, un peu bancal (un ninja britannique qui bosse en freelance pour les services secrets de Sa Majesté et qui a donc pour nom de code Ninjak), l’excellent Matt Kindt était parvenu à concocter l’une des séries les plus excitantes du relaunch de Valiant en 2012. Son mix entre comics de super-héros, récit d’espionnage et trip magico-fantastique, ponctué d’origin stories à la fin de chaque numéro, fonctionnait parfaitement. Christos Gage, auteur plutôt mineur, avait donc la lourde tâche de reprendre le flambeau. Et ces 14 épisodes démontrent qu’il s’en tire plus que bien.


Gage a tout d’abord la bonne idée de reprendre la recette qui donnait toute sa saveur au personnage : écriture à la première personne et humour british, casting charismatique, combats bien sentis et orgie de gadgets dans un sorte de mélange entre Batman et James Bond. Efficace. Mais là où Kindt prenait logiquement le temps de donner de la densité à son personnage et son background, Gage capitalise sur cet acquis et va plutôt creuser l’univers du ninja et notamment sa relation amour/haine avec le MI6, le service de renseignements extérieurs du Royaume-Uni. Ce sera le fil rouge du récit, développé en trois arcs narratifs très connectés et ayant, ô joie, chacun son unique dessinateur.


Le premier arc va tout d’abord expliciter cet étrange titre qu’est « Ninja-K ». On découvre que le personnage s’inscrit en effet dans un vaste programme de formation de ninjas (qui commence donc par Ninja-A, puis Ninja-B, puis Ninja-C, etc.) chapeauté par le MI6 et débuté durant la première guerre mondiale. Ce procédé, pas forcément très original mais ici bien fichu, a le mérite d’ancrer le personnage dans une mythologie plus vaste. Il donne la possibilité de faire des flashbacks bien sentis et d’introduire une nouvelle galerie de personnages bigarrée et efficace (on pense notamment à Madame Charade ou Ninja-G). L’enquête est accrocheuse et aura des répercussions sur l’ensemble du tome. C’est l’excellent artiste argentin Tomás Giorello (parfaitement mis en couleurs par son compère Diego Rodriguez) qui officie sur cette partie, dans son style entre comics et franco-belge. Il livre comme à son habitude un gros boulot, notamment sur quelques compositions sublimes, même si son style s’adapte peut-être mieux à des trips plus orientés SF ou fantasy.


Le deuxième arc est le plus comics dans l’esprit, avec un gros affrontement comme on les aime entre deux groupes (on serait tenté de dire les gentils contre les méchants mais c’est un peu plus subtil que ça). Gage a l’excellente idée d’aller piocher dans le catalogue Valiant pas mal de personnages plus ou moins connus, ce qui renforce cette idée d’univers partagé cohérent (et on prend toujours plaisir à recroiser la franchement cool Punk Mambo). Le lectorat francophone commence à bien connaître ces personnages grâce au gros boulot de Bliss Éditions et c’est un vrai plaisir de sentir la maturité de ce petit univers. On retrouve aux dessins un artiste bien connu chez l’éditeur, l’Argentin Juan José Ryp. Sa progression depuis la première série Ninjak, où son style très détaillé était trop foutraque, est nette et sa prestation va totalement de pair avec l’aspect bien violent du récit.


Enfin, la troisième et dernière partie fait le bilan de ses grandes sœurs et démontre les implications sur le personnage de Ninjak, notamment dans l’idée d’une future suite. Satisfaisante et plus intimiste, celle-ci souffre néanmoins de la comparaison avec le reste, du fait d’un peu trop de décompression et de linéarité. Roberto De La Torre s’occupe de l’ensemble de la partie graphique, alors qu’on avait pu auparavant le croiser uniquement sur certains passages dans d’autres séries. Son style tout en jeux d’ombres à ses qualités (une forte personnalité, quelques splash magnifiques) et ses défauts (un manque global de lisibilité).


Retour gagnant pour Ninjak qui bénéficie une nouvelle fois d’une série prenante de bout en bout, servie par trois artistes solides qui apportent chacun leur pierre à l’édifice. Le personnage gagne en épaisseur et se place mine de rien comme l’un des mieux lotis depuis le relaunch de Valiant. Christos Gage s’inscrit dans la lignée du boulot de Matt Kindt tout en recentrant les enjeux vers le récit d’espionnage, en développant la mythologie du personnage et en jouant le jeu de l’univers partagé comme une récompense pour le lecteur assidu. Le seul bémol est de ne pas lui avoir laissé quelques épisodes en plus pour creuser cet univers et raconter d’autres bonnes histoires tant le potentiel est là. Espérons que la mini-série KI-6 : Killers (encore inédite en français) et surtout la prochaine série Ninjak, pour le moment uniquement teasée et prévue pour 2020, pourront combler ces attentes.

Marlon_Ramone
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le 24 mai 2020

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